La fin des récoltes
Mort impie au mont des pins
Nouvelles amitiés
Je sais, ce n'est pas du Sōkan. Mais que voulez-vous, quand on vous répète pendant des années qu'un récit qui se respecte se doit d'être introduit par un haïku cela finit immanquablement par rentrer (même dans la tête d'un crabe selon mon précepteur).
Mais la foi inébranlable en l'éducation de Mimizuku-sensei n'est pas le sujet du jour, alors recentrons nous.
Les évènements qui nous intéressent se déroulèrent il y a deux ans, au sanctuaire de Momiyama.
Mon récit commence la veille alors que je voyageais depuis quelques jours en direction du temple de la montagne aux pins. Je m'y rendais dans l'espoir de recevoir la sagesse du Vénérable du Sommet, un ermite local qui descendait une fois à l'année de sa retraite afin de prodiguer ses conseils à qui le demandait.
J'étais accompagné dans ce pèlerinage par
Suzume Ringo, un moineau que le clan avait assigné à ma protection en raison de son efficacité (quand il vous met une pêche en pleine poire, vous êtes rarement en état de ramener votre fraise, étant souvent tombé dans les pommes).
Ringo n'est pas la personne la plus portée sur l'étiquette que je connaisse (il a toujours été d'un style...décomplexé), mais déjà à l'époque il était d'agréable compagnie et savait rendre les voyages moins long.
Mais bref, je m'égare.
Nous arrivâmes au village situé pied de la montagne la veille de la descente du Vénérable, en fin d'après-midi. Je fus étonné de trouver ici une bourgade qui devait compter plusieurs centaines d'habitants. Tout ce petit monde était entrain de s'affairer dans un joyeux bazar à la préparation du festival qui avait lieu tous les ans au moment de l'arrivée des pèlerins.
Rapidement cependant, des locaux nous repérèrent et nous dirigèrent vers l'unique auberge de la ville.
C'était un bâtiment de grande taille pour la région, dominant toutes les constructions avoisinantes avec son étage.
L'aubergiste nous y accueilli avec toute la déférence nécessaire. Il avait visiblement l'habitude de recevoir des samurai, et effectivement le lieu en était plein (Le Vénérable devait être très sage pour attirer autant de nobles dans ce trou perdu).
Le brave homme nous mena rapidement à nos chambres avant de s'éclipser. Ce n'était pas le grand luxe, mais elles étaient propres et pouvaient accueillir un baquet d'eau chaude sur demande (ce que je fis sans me faire prier).
Pendant que je me débarrassais de la poussière du voyage, Ringo prit congé pour discuter avec les locaux afin d'en apprendre un peu plus sur le sage.
Je digresse mais je suis toujours fasciné par la facilité avec laquelle les membres des clans mineurs réussissent à se mêler au peuple quand ils le veulent. Il serait si utile si seulement ils arrivaient à mettre leur honneur de côté de temps en temps pour des causes plus grandes...
Une fois propre, je me dirigeai vers le jardin (quand je vous dis que cette auberge est étonnante !) pour y lire au calme.
Le lieu était vide, à l'exception d'une grue qui me salua de la tête avant de retourner à sa lecture. La quiétude qui régnait en ce lieu contrastait agréablement avec l'agitation du reste de la ville. Enfin le temps que cela dura...
Car rapidement nous fûmes rejoints par : Une jeune mante (qui faisait les cents pas, aussi à l'aise qu'une licorne dans un diner mondain), Ringo, un crabe (géant vociférant aussi fort qu'il était grand), une jeune phénix (qui elle savait se tenir), un lièvre (il était sur le balcon mais hurla si fort sur les servants qu'il couvrit un temps le crabe), et enfin une deuxième mante (sur laquelle se jeta la première à grands bruits comme s'il s’agissait de son unique espoir de survie).
C'en était trop pour moi, et la grue visiblement qui m'emboita le pas alors que je quittai cette basse-cour. Ringo me suivit jusqu'à ma chambre où il me laissa me reposer.
Le soir venu, je fus de nouveau dérangé par une voix bien trop familière.
Il s'agissait encore du lièvre (c'est fou de voir que ce sont presque toujours les plus petits roquets qui aboient le plus fort). Cette fois-ci, il trouvait visiblement honteux de ne pas avoir de place où s'assoir, et hurlait son mécontentement (il faut croire que chez les lièvres cela a le pouvoir de multiplier les places assises) sur l'aubergiste qui tentait visiblement de fusionner avec le parquet.
Le lièvre partit rapidement embêter d'autres personnes, ce qui nous permit d'aller demander au tenancier ce qui se passait.
Ringo l'aida à se relever avec l'aide de la deuxième mante du jardin. Je n'avais pas remarqué qu'elle était là, tout comme la jeune phénix qui commença à interroger le brave homme d'une voix douce.
Celui-ci s'excusa de l’absence de place en désignant d'un air gêné une table ne comptant pourtant qu'un seul occupant.
Regardant plus attentivement, je compris le problème : un ronin. Enfin je dis problème, mais personnellement tant que ce genre d'individu reste à sa place, ils ne me dérangent pas (de plus ils peuvent être très utiles pour des missions...peu conventionnelles).
Toujours est-il que nous nous dirigeâmes tous les quatre vers la table, où le ronin nous invita poliment à le rejoindre. Au moins il était propre et bien élevé (ce qui n'est pas le cas de tout le monde malheureusement).
Nous profitâmes du repas pour faire connaissance avec nos voisins.
La phénix se nommait (et se nomme toujours à ma connaissance) Asako Sakura. C'était une fille bien élevée, sage et discrète, mais avec une lueur dans le regard qui me fit penser que cette soumission n'était qu'apparente. Elle était également là pour voir le Vénérable du Sommet.
La mante répondait quant-à elle au nom de Tsuruchi Komako
. Cette toute jeune samurai (14 ans) était ici en pèlerinage afin de finaliser son Gempukku. Elle avait la candeur des jeunes gens des clans où l'étiquette n'est pas une préoccupation. Mais sa maladresse était compensée par une envie de bien faire qui, je pense, lui permettra de rapidement corriger son attitude si elle est bien entourée.
Pour ce qui est du ronin...et bien sous prétexte de ne pas attirer le déshonneur sur sa famille il préféra se faire appeler...Ronin.
Ronin était visiblement une sorte de justicier errant, répandant la justice dans son sillage. Ce mode de vie compensait pour moi son manque de politesse concernant son nom, bien que je lui fit tout de même comprendre son manque de correction (amicalement j'entends).
Une fois le repas terminé, Ronin nous conseilla de nous lever à l'aube pour éviter les pénibles heures de queue de rigueur chaque année avant de voir le sage. Il prit ensuite congé, nous souhaitant une bonne soirée et nous remerciant d'avoir accepté de manger avec lui.
Tsuruchi-san monta dans sa chambre dès que nous quittâmes la table, tandis que Asako-san, Ringo, et moi-même fîmes un petit tour du festival (très sympathique par ailleurs). Mais ayant choisi d'écouter notre camarade vagabond, nous ne tardâmes pas à nous coucher à notre tour.
Nous partîmes pour le monastère tôt le lendemain, ayant (presque) tous réussi à nous lever aux aurores. Bien nous en pris, car nous lorsque nous arrivâmes à destination au bout d'une heure de marche, une vingtaine de paysans faisait déjà la queue devant les portes. Nous nous plaçâmes à l'arrière de la file au plus grand étonnement des autres pèlerins. Ils avaient l'air choqué par notre attitude, mais visiblement pas suffisamment pour nous laisser leur place d'eux-même.
Quelques minutes et de nombreux roturiers plus tard, arriva la grue silencieuse de la veille. Elle entreprit de dépasser la file jusqu'au moment où elle nous remarqua.
Lorsqu'elle nous vit, la surprise fissura un instant son masque glacé (la possibilité de voir des samurai faire la queue ne lui avait clairement pas effleuré l'esprit).
Après un instant d'hésitation, elle se plaça derrière nous (et devant une bonne trentaine de paysans) avant d'engager la conversation. Je ne me souviens plus de la teneur de celle-ci, ni du nom de la grue (il faudra que je pose la question à Ringo).
En parlant du moineau, ce dont je me souviens parfaitement par contre, c'est que lui et Tsuruchi-san se comportèrent avec notre interlocutrice comme des rustres ! Enfin, elle ne leur en tenu pas vraiment rigueur (pour dire vrai elle les remis subtilement à leur place, mais je ne pense pas qu'ils l'aient remarqué).
Toujours est-il que nous attendîmes plusieurs heures que les portes s'ouvrent. Cela n'était certainement pas habituel au vue de l'agitation qui commençait à se faire sentir chez les gens du pays. De plus, les deux moines qui étaient sortis sur le perron discutaient entre-eux sans avoir l'air de comprendre la situation.
Intrigués (et à bout de patience, il faut bien l'admettre) nous allâmes rejoindre les deux religieux pour savoir ce qui en retournait. Ronin, qui attendait depuis quelques temps à l'ombre d'un pin, se joignit à nous.
Lorsque nous demandâmes se qui se passait, les deux prêtres échangèrent un regard avant de nous faire rentrer (avec Ronin sur notre demande).
Là, le guji nous expliqua le problème. Le Vénérable n'était pas au monastère, alors même qu'il aurait dû y arriver il y a des heures. Il était très inquiet et ne le cachait pas.
Asako-san lui proposa que nous allions à la rencontre du saint homme, afin de s'assurer qu'il allait bien.
Le prêtre supérieur fut soulagé et accepta cette offre en nous remerciant (j'appris plus tard que les religieux n'avaient eux-même pas le droit de se rendre à l'ermitage).
Une fois que la direction nous fût indiquée, nous partîmes donc à cinq (la grue n'ayant manifestement pas envie de se lancer dans cette ascension). Il nous fallut une bonne heure de marche sur des sentiers bien plus étroit que ceux menant au monastère pour atteindre notre destination. Ronin était nerveux. Il craignait de savoir ce que nous trouverions là-haut, mais refusa d'en dire plus, espérant sans-doute se tromper.
À peine la cabane du Vénérable fut-elle en vue que nous comprîmes qu'il y avait un problème. La porte était ouvert, et un homme était allongé devant.
Nous nous précipitâmes pour découvrir le sage mort, la gorge tranchée et la poitrine ouverte.
Alors que nos camarades examinaient la dépouille du pauvre homme, nous pénétrâmes avec Ringo dans la masure. La petite pièce était ce qu'on pouvait attendre de la cellule d'un ermite, si ce n'est le texte impie sanglant au mur. Cela puait la maho.
Mon intuition fut confirmée par Asako-san qui nous appris que le cœur de l'ermite avait disparu.
Ronin n'était malheureusement pas étonné. Il nous avoua que sa présence en ville ne devait rien au hasard. Quelque semaines auparavant, il avait occis un mage noir. Celui-ci avait en sa possession une lettre, par laquelle un de ses frères sombres lui donnait rendez-vous au festival. Notre compagnon avait donc immédiatement pris la route dans le but d’arrêter cet adepte des arts sombres.
L'examen de la blessure à la gorge nous révéla un bien triste indice. Selon Ringo, la blessure avait été porté de face, par une arme courte extrêmement acérée. Cela ne pouvait être qu'un wakizashi, et cela signifiait une chose...le coupable était un samurai.
Bien que la nouvelle fut affligeante, elle eut le mérite de réduire drastiquement le nombre de suspect. Asako-san et Ronin le réduisirent encore en découvrant que la mort datait du milieu de la nuit, et que seul quelqu'un possédant un très bon physique aurait pu revenir en ville avant l'aube.
C'était un excellent début, mais Asako-san nous permit de confirmer nos soupsons. Elle pratiqua un rituel qui lui servi à contacter les kamis ! J'avais beau savoir que les phénix conversaient avec les esprits, voir ces petits êtres sortir de terre resta une expérience fascinante. Ils nous apprirent que le tueur n'était pas de la région et qu'il avait emporté le cœur du Vénérable. Les kamis m'étonnèrent même en demandant justice pour la mort du sage. Cet ermite devait vraiment un saint homme !
Nous décidâmes de cacher cet odieux meurtre dans un premier temps. Il ne fallait pas que le meurtrier s'enfuit, et l'annonce de la mort du sage lui aurait donné une excuse parfaite pour quitter la ville. Nous incinérâmes donc la dépouille de l'ermite et prièrent rapidement pour son repos avant de redescendre.
Bien entendu nous dûmes avouer la vérité au guji, mais celui-ci approuva notre décision. Il nous aida même en nous permettant d'interroger le moine qui était de faction à l'heure présumée du passage du mage noir.
Le jeune prêtre avait vu la lueur d'une lanterne et pu nous désigner l'endroit où son porteur avait dû passer.
Nous nous divisâmes alors en deux groupes. Tsuruchi-san et Ronin partirent à la recherche d'éventuelles traces dans la montagne. Tandis qu'Asako-san, Ringo et moi-même allâmes interroger l'aubergiste et les villageois le plus discrètement possible.
En arrivant à l'auberge, Ringo prit congé pour mener son enquête en ville. Asako-san, fatiguée par l'invocation des kamis, alla dans les jardins se relaxer.
Quant à moi, j'interrogeai le tenancier (sans éveiller ses soupçons). J'appris que seuls quatre samurai ayant le physique nécessaire n'était pas à l'auberge à l'heure de la mort.
- Yuzuki-san (le crabe géant)
- Matsu-san (un lion qu'Asako-san avait l'air de trop bien connaitre à son goût)
- Ujina-san (le lièvre colérique)
- Watanabe-san (la jeune mante)
Une fois le brave homme remercié je me dirigeai vers le jardin, où je repérai une trace de pas sous le balcon (qui se révéla finalement être celle de Ronin).
Ne pouvant poursuivre avant le retour de mes camarades, je pris le thé avec Asako-san et la grue (il faut vraiment que je demande à Ringo s'il se souvient de son nom) qui était rentrée à l'auberge sans attendre notre retour. Tsuruchi-san et Ringo nous rejoignirent peu après.
Après avoir terminé le thé, nous nous rassemblâmes dans la salle commune.
Ringo nous appris que nous pouvions éliminé de la liste Yuzuki-san et Watanabe-san. Les deux avaient fait la fête toute la nuit. Après lecture des empreintes,Tsuruchi-san et Ronin étaient sûrs que le tueur était de taille moyenne. Cela excluait également le géant crabe.
Il restait donc sur la liste...
- Yuzuki-san (le crabe géant)
- Matsu-san (un lion qu'Asako-san avait l'air de trop bien connaitre à son goût)
- Ujina-san (le lièvre colérique)
- Watanabe-san (la jeune mante)Asako-san se porta volontaire pour interroger Matsu-san (cela eut l'air de beaucoup lui coûter). Par mesure de précaution, Ronin décida qu'il resterai près d'elle tant pendant la conversation avec la lion.
Ringo et moi allions nous charger de Ujina-san, mais c'est Tsuruchi-san qui aurait la mission la plus périlleuse. En effet, dans le laps de temps où nous distrairions les deux samurai, elle devrait fouiller leurs affaires à la recherche d'une preuve.
Ringo et Asako-san n'était pas emballés par cette partie assez peu honorable du plan, mais Tsuruchi-san comprit que c'était bien peu de chose par rapport à l'enjeu.
Tout se passa sans accroc. Matsu-san était...à l'image de son clan si j'en crois le résumé de Asako-san (qui avait l'air très fatigué par son tête à tête). Il avait l'air trop franc pour être le tueur et la fouille de sa chambre ne donna rien.
Ujina-san par contre ne fit que s'enfoncer. Il était aussi fier qu'il en avait l'air, et aussi désagréable. Il ne le remarqua pas je pense, mais quand Ringo lui demanda s'il était ici pour voir le Vénérable il eut une expression bizarre en opinant. C'était lui, j'en aurais mis ma main à couper. Ce que j'aurais pu faire sans crainte car Tsuruchi-san (qui avait fouillé sa selle) nous dit y avoir vu un paquet contenant...un cœur humain !
Je ne perdit pas de temps et allai chercher l'ignoble paquet. Une fois de retour dans la salle, j'accusai devant Matsu-san et le reste de l'assemblée Ujina du meurtre du Vénérable (je suis d’ailleurs plutôt fier du sens du dramatique dont je fis preuve en ponctuant mon allocution d'un lâché de cœur sur la table).
Le lion réagit comme il savait le faire le mieux. Il dégaina son sabre et se dirigea vers la chambre du mage noir en rugissant. Ringo lui emboita le pas.
Je ne peux pas décrire plus en avant l'affrontement, car ayant vu que Ronin bloquait la retraite potentiel de l’assassin par le jardin , je décidais d'aller fouiller sa selle plus sérieusement (il faut savoir se retirer quand on a plus de rôle à jouer).
Je ne trouvai d'intéressant dans les sacoches que du matériel qui devait servir à de sombres rituels.
À mon retour dans l'auberge, je découvris un lièvre mort et un lion triomphant. C’était terminé.
Je pense que je me souviendrai longtemps de ce pèlerinage au sanctuaire de Momiyama. Il m'a prouvé que le mal pouvait venir de partout, et que même un chasseur de sorcière peut être en réalité un vil mage noire.
J'espère en avoir fini avec la maho, mais rien n'est moins sûr. Avant de repartir chacun de notre côté, nous promîmes à Ronin de l'aider si un jour le besoin s'en faisait sentir.
Cela fait deux ans maintenant, et je n'ai plus entendu parler de ce drôle de justicier vagabond. J'ignore même s'il est encore en vie, mais je ne sais pas...
La Mante, le Moineau, la Phénix et le Scorpion
Ce titre sonne bien, non ?