Europe 1880 - Les mystères du Nord

Et c'est re-parti pour une nouvelle saison.



Voilà la dernière excentricité en date de Mlle Balfour, qui ne cesse décidemment de défrayer la chronique !
Nos lecteurs les plus assidus se souviendront de son inattendue place sur le podium de la grande course automobile Neuilly-Versailles l’année dernière, quelques mois seulement après le scandale outre-manche de son inscription au tournoi de Wimbledon déguisée en homme.
La voilà qui fait de nouveau parler d’elle, avec l’annonce fracassante de son intention de monter une expédition vers le Grand Nord, à ses propres frais, le tout à bord d’un engin expérimental baptisé le ‘’Cyrano’’.
Née en 1843 à Londres, Marie Balfour est la fille unique d’Auguste Balfour, individu lui-même tout aussi excentrique. Il était notamment connu pour faire mine d’ignorer
de savoir que sa famille (issue de la noblesse de l’Ancien Régime) avait quitté la France à la Révolution, et continuait donc à se faire appeler ‘’Mr le comte’’.
De l’Ancien Régime, les Balfour ont néanmoins conservé leur fortune, d’où l’indépendance
financière de l’actuelle figure de proue de la famille.
L’expédition, qui se veut scientifique et internationale, visera notamment à cartographier les terres les plus septentrionales de l’Europe. Mlle Balfour a toutefois laissé entendre qu’elle pourrait aussi tenter de découvrir l’emplacement de l’île de Thulé, mythique contrée hyperboréenne dont l’existence réelle demeure des plus incertaines.

Abraham est né en 1845 dans les glaces de la ville de Hebron dans la province de Labrador. Il fut élevé comme un vrai Inuk, chasseur, pécheur et pisteur.
La glace n'eut rapidement plus de secrets pour lui.
En 1975, les premières missions Moraves arrivèrent dans la région. Une petite congrégation s'installa à Hebron et introduisit la chrétienté dans la région.
Abraham appris, auprès d'eux, l'allemand et l'anglais. Il devint aussi un fervent chrétien. Son père mourut en 1878 des suites d'une maladie. Laissant sa mère seule et assez affaiblie.
Malgré le soutien de sa femme, Ulrike, et l'amour de ses 2 filles, la pression financière se faisait de plus en plus forte.
Il priait tous les soir en espérant un miracle.
Fusse Dieu lui répondant, un homme arriva dans le village avec un projet. Il voulait faire connaître la culture Inuk en Europe.
Il s'appelait Johan Adrian Jacobsen et promettait d'aider Abraham si ce dernier l'aidait. Il avait besoin d'un interprète et de quelqu'un capable de persuader les populations locales de le suivre dans son voyage en Europe.
Contre une promesse d'aider sa mère, Abraham le suivi.
C'est donc en compagnie de sa femme, d'une petite famille d'un village voisin, 6 qimmits, 1 kayaks et un traîneau qu'ils partirent pour l'Europe en juillet 1879. Ils devaient revenir après leur contrat d'un an avec les poches pleines d'argent et la tête remplie d'images.
Commençant par Stokholm, pour ne pas choquer les organismes des Inuk, ils firent des représentations pour expliquer leur vie dans le grand Nord. Les conditions difficiles dans lesquelles ils vivaient.
Après avoir tourné pendant 5 mois dans les différentes grandes villes d'Europe, c'est à Paris qu'il donna sa dernière représentation.
Alors qu'il se reposait après sa journée, monsieur Jacobsen vint le voir accompagné du femme.
Elle s'appelait Marie Balfour et souhaitais organiser une expédition en Arctique afin de produire une cartographie des terres inexplorées.
Après de dures négociations avec Monsieur Jacobsen. Mlle Balfour finit par réussir à rompre le contrat d'Abraham afin de l'embaucher pour son expédition.

 
L’aventure commence au début du mois de Janvier 1880, en plein milieu de Londres. Le Professeur Phlington, tout juste arrivé d’Oxford, marche tranquillement dans la ville pour se rendre au « Réforme Club ». L’endroit, bien trop distingué pour un simple professeur d’histoire, est le lieu de rendez-vous qui lui a été donné par Mlle Balfour, l’organisatrice de l’exploration polaire à laquelle il participe. Pourtant, en arrivant, il constate que Mlle Balfour n’a pas pris en compte la réticence d’un tel club à laisser entrer une femme en son sein. En effet, elle-même et son compagnon, un inuit habillé d’un chapeau et d’une tenue respectable, sont retenus à l’entrée de l’établissement. 

Une jeune femme, en tenue de ville mais couverte de crasse et de taches d’huile, rejoint Mlle Balfour et discute avec elle. Il s’avère qu’elle participe aussi au voyage. Voyant que l’agitation ambiante ne se calme pas, Phlington rejoint à son tour le groupe et, ensemble, ils tentent de négocier avec le portier. 

Après un moment, un élégant Gentleman, du nom de Phileas Fogg, se manifeste et propose de prêter au petit groupe son salon personnel, ce qui résout le problème. La réunion a enfin lieu et les membres de l’expédition (du moins ceux qui ont eu le temps d’arriver à Londres) peuvent se présenter et aussi avoir quelques détails sur l’organisation du long voyage prévu.

Tout d’abord, le groupe embarquera avec leur appareil (Le Cyrano) dans un bateau faisant route vers Nydaros (ce qui représente déjà près d’un mois de navigation) puis ils voyageront en train jusqu’au lieu qui servira de point de lancement du Cyrano. Le voyage, dans sa globalité, durera en théorie au moins 3 mois, bien que l’on ne puisse pas en être certain tant que le périple n’en sera pas à sa conclusion…

Pour conclure la réunion, Mlle Balfour propose de rendre visite au capitaine Hatteras, interné à l’asile Bedlam. En effet, celui-ci a voyagé jusqu’au pôle nord et est le seul de son équipage qui soit revenu vivant. Le groupe lui rend donc visite et discute avec lui de son expédition, à bord du forward, au cours de laquelle il aurait atteint le pôle nord magnétique et vu un immense volcan avant de rebrousser chemin en raison des conditions extrêmes (qualifiées d’infernales et d’inimaginables). 

Une fois l’histoire d’Hatteras contée, le groupe quitte l’hôpital. Ils continuent maintenant les préparatifs pour leur futur périple, sans doute chacun à leur manière. Pour Phlington, en tout cas, cela consiste en la relecture de ses cartes, en l’étude des comptes rendus d’expéditions qu’il a pu trouver et en l’absorption de quelques verres de Whisky…

Carnet de notes d'Eloïse Lannes (extraits)


Partie III - Voyage mouvementé

Notes générales : voyage pour le moment agréable, mais l'aventure n'a même pas véritablement commencée. Notre train voyage a vitesse modérée mais constante, droit vers le Nord. Quelques arrêts techniques pour remettre de l'eau dans la locomotive ou récupérer du charbon dans des stations de maintenance, mais pas grand-chose d'autre.
Plus nous allons vers le Nord, et plus la Norvège se fait ardue et sauvage. Le relief devient de plus en plus escarpé, les villages de plus en plus rares. Régulièrement, sur notre gauche, nous apercevons l'océan, ou du moins ses reflets au milieu d'un labyrinthe de fjords et de récifs.
La lumière elle-même se fait rare. Les jours sont de plus en plus courts à mesure de notre avancée, se résumant à quelques heures.
(penser à trouver une image sur les ''lumières'' de la civilisation que nous laissons derrière nous)


Notes du 16 janvier 1880 :
4e jour de voyage. Mes camarades s'inquiètent de l'identité des passagers britanniques voyageant également à bord. Les mêmes hommes qui nous suivaient à Nidaros ? Espions ? Rivaux ?
Le Pr. Phlington s'est dévoué pour essayer de leur tirer les vers du nez à l'occasion d'un des repas du soir.
Bilan d'informations mitigés. Les anglais sont au nombre de trois, dirigés par un certain Mr Thompson, sorte d'armoire à glace moustachue qui est le seul à avoir réellement pris la parole de tout le dîner.
Discours bien rodé, prétend faire partie de la Compagnie des Indes cherchant à investir dans les opérations minières. A évoqué les problèmes des canaux de Suez et de Panama, qui menacent le monopole maritime de la Compagnie.

Mauvais souvenirs personnels. Les évidentes malversations sur l'attribution du chantier du canal de Panama m'ont après tout valu mon renvoi de l'Aiglon. Comme quoi la junte militaire colombienne est bien plus influente que ne veux bien le croire le vieux continent...

Quoi qu'il en soit, Thompson avait vraiment l'air de n'avoir aucun lien avec nos ''admirateurs'' de Nidaros. Décision a malgré tout été prise de rester sur nos gardes. Mr Ulrikab a notamment choisi de continuer de monter la garde dans le wagon de marchandises transportant le Cyrano.


Notes du 18 janvier 1880 :
De toute évidence, nous nous sommes tous lourdement fourvoyés.
Résumé rapide : la nuit dernière, nous sommes tous brutalement réveillés par l'activation des freins d'urgence de notre train. Celui-ci s'est arrêté à l'entrée d'un des nombreux tunnels perçant les montagnes locales, en raison d'un éboulement.
Toutefois, alors que Mlle Addle prêtait main-forte aux techniciens ferroviaires, elle a remarqué la présence de traces d'explosifs sur les débris rocheux.
Sabotage, donc.
Au même moment, un coup de feu tiré depuis l'arrière du convoi a attiré l'attention de tout le monde. En nous précipitant sur les lieux, nous avons découvert Mr Ulrikab encore sonné, nous expliquant qu'il avait été attaqué par le trio britannique mené par Thompson.
Ces derniers avaient dérobé la caisse contenant le moteur du Cyrano, et pris la tangente en dévalant la pente, droit vers l'océan.

Moi-même et le père Francesco sommes restés à bord, négociant avec l'ingénieur-en-chef, pendant que le reste du groupe sautait sur des luges pour se lancer à la poursuite des voleurs, au beau milieu de la nuit.
Par la suite, ils ont pu me rapporter avoir pisté les anglais (sans grandes difficultés) jusqu'à une cabane de pêcheur en bord de mer, après qu'ils soient montés à bord d'une charrette qui de toute évidence les attendaient.
Comme quoi, leur opération avait été soigneusement planifiée.

Soigneusement planifiée... à un détail prêt cependant. Apparemment, les voleurs devaient partir immédiatement à bord d'une embarcation amenée par un complice... mais complice qui n'était pas au rendez-vous.
Nos camarades ont ainsi pu rattraper les anglais, et récupérer notre précieux moteur, non sans un vif échange de tirs au cours duquel le brave (un peu condescendant) l'audacieux (trop romanesque) Abraham (sans adjectif, c'est bien aussi) a été sérieusement blessé.
En effet, Thompson n'a pas hésité à faire usage d'un étrange dispositif électrique qui a fini par le griller lui-même. Un de ses acolytes, ainsi que le conducteur de la charrette (qui s'est également avéré être le saboteur de la voie de chemin de fer) ont pu être capturés.
Ils ont avoué travailler pour un certain Mr Edison, un homme d'affaires de Liverpool (ai entendu parler de lui, et pas en bien... a la réputation d'être véreux, et prêt à tout. Bien entendu aucune preuve ne permet de remonter jusqu'à lui).

Nous devrions être demain à Tromsö. Là, nous pourrons remettre les prisonniers aux autorités locales. En espérant que nous n'aurons pas davantage d'ennuis avec les hommes de main d'Edison, ce qui n'est pas gagné...
Après tout, les anglais ont laissé entendre que le complice au bateau était censé être là-bas. Mais peut-être a-t-il disparu corps et âme dans le Moskstaumen (très dramatique... penser à mettre l'emphase sur le hurlement issu des abysses du maelstrom. Trouver une photo d'illustration).

Partie VI -  Intrigue à Tromsö


Entschuldigung mein herren und damen, je crois avoir omis de m'être présenté comme ont pu le faire mes collègues et compagnons de voyage. Avant de poursuivre le récit de notre périple, veuillez donc me pardonner et me laisser y remédier.

Grimwald Heutenvalen, doktor es physique und philosophie naturelle. J'ai mené des recherches un temps à la Gottfried-Wilhelm-Leibniz Unversität mais c'est sûrement ma renommée de praticien dans la région de Brunswick, ma ville natale, qui m'a valu d'être recruté pour l’expédition Balfour. En effet, Fraulein Balfour m'a nommé responsable médical de notre petite équipe. Si vous êtes au fait des dernières nouvelles du monde académique en Europe il se pourrait que vous ayez entendu quelques fallacieuses rumeurs sur mon compte. N'y prêtez pas attention. Mes patients peuvent témoigner de l'efficacité avec laquelle j'exerce. Il est vrai que mes méthodes ne font pas l'unanimité et, contrairement à mes confrères obscurantistes et réactionnaires, je ne crains pas l’innovation. Notre monde est à l'aube d'une ère nouvelle et la science a démontré que le potentiel maximal de notre espèce est loin d'avoir été atteint. Il serait absurde de ne pas mettre tout un œuvre pour déverrouiller ce potentiel, ja?!







Jedenfalls, après notre voyage et ses malencontreuses péripéties nous avons enfin atteint la ville de Trömso. Cette petite ville tout récemment édifiée afin de répondre au besoin de main d’œuvre des mines de fers avoisinantes est d'une hospitalité discutable. Le dépaysement aurait presque pu dissimuler l’esthétique modeste de cet amas de cahutes en bois mais les circonstances de notre arrivée n'ont pas contribué à cette illusion.

Sans être hostile, la population locale ne s'est pas montrée particulièrement accueillante. Bien que notre arrivée tardive ait été source de trouble, il est vite devenu évidemment que des évènements plus sombres avait plongés, bien avant cela, la ville dans un climat de suspicion et de superstition.

Pourtant notre accueil a été assuré par non moins que l'un des sujets de la Reine de Suède-Norvège, le Lagman Niels Salander, un homme de bonne prestance mais surtout d'une constitution impressionnante à l'instar, je suppose, de ces ancêtres. Ce prestige a rapidement été éclipsé lorsque celui-ci nous a appris le meurtre du Commissaire Surgen, la personne censée nous accueillir à l'origine.

Ce brave homme, dépêché sur place par la couronne pour enquêter sur d'autres meurtres survenus avant celui du commissaire, nous a tout juste laissé le temps de descendre du train et livrer les terroristes que nous avons capturé sur la route avant de nous proposer un marché. En échange d'un soutien à notre expédition, nous nous sommes retrouvé mandaté pour l'assister dans son investigation sur les des évènements sinistres et mystérieux qui affectent la ville et tout particulièrement l'assassinat d'Herr Surgen.

La contribution la plus immédiate que notre petit groupe pouvait lui apporter était évidemment d'étudier le corps de l'homme, ce dont je me suis évidemment chargé. Confirmer l'hypothèse d'une agression (malgré la cause réelle de la mort: la noyade) a été un jeu d'enfant: de légers hématomes sur le collier indique clairement une tentative de strangulation ou à tout le moins de maîtrise.

Mes collègues, eux, ont préféré ne pas assister à mon étude du cadavre et se sont rendu en ville pour s'installer dans nos quartiers temporaires à l'auberge et poser quelques questions ici et là, aussi discrètement que leurs adresses sociales respectives le leur permettait.

Durant cette collecte d'information, nous avons été assez surpris d'apprendre le passage récent du dénommé Goodwin dont le nom avait été mentionné par nos agresseurs et voleurs de moteur sur le trajet vers Tromsö. Malheureusement, il s'avère qu'il a été porté disparu quelques temps avant notre arrivée.

Parmi les personnes que nous avons eu la possibilité de questionner, on peut compter la tenancière de l'établissement ou nous nous sommes établis, une jeune femme prénommée Katherin dont ce bon vieux Philington a su s'attirer les bonnes grâces.


Nous avons également rendu visite à un curieux personnage, un rescapé d'une expédition brésilienne visiblement traumatisé par le naufrage de son navire et une expérience certainement quasi-mortelle. Bien qu'il ne nous ai apporté que des informations partielles ne faisant que confirmer nos soupçons, j'ai au moins eu l'opportunité de lui faire profité de mes connaissances élémentaires sur l'influence cognitive. A défaut de faire avancer notre enquête, il est toujours satisfaisant d'apporter notre aide.

Avant d'interroger une dernière personne sur les recommandations de Herr Salander, nous avons décidé de passer une première nuit à l'auberge. Cependant peu de temps avant cela, notre chère mécanicienne en chef nous à faire part d'une sinistre découverte: une lettre de menace, à l'encontre de notre groupe cette fois ci, nous intimant de quitter la ville. Par conséquent, nous avons établis des tours de garde pendant cette nuit. Cela n'a visiblement pas dissuadé nos mystérieux ennemis car au cour de sa nuit, le professeur Philington a constaté des mouvements juste sous nos fenêtre.


La dernière personne que nous avons interrogé est une autochtone appelée Sikka. Cette femme pour le moins suspicieuse semble vivre du commerce de ressources végétales naturellement présentes dans la région avec les commerçant de Tromsö et nous avons pu troquer quelques unes de mes propres fournitures contre des informations sur Goodwin, autour duquel beaucoup des étranges évènement sur lesquels nous enquêtons semble tourner. Il se trouve que Sikka a effectivement guider l'homme dans d'anciennes mines, aujourd'hui non exploitée, situées à l'écart de la ville. Elle a également accepté de nous mener au même endroit, selon elle sans intérêt si ce n'est pour les champignon que Goodwin semblait rechercher en s'y rendant.

Arrivés sur place, des traces assez évidentes nous on permis d'établir que l'endroit était bien plus fréquenté qu'il n'était censé l'être...

Journal de Samuel Goodwin, retrouvé dans une ancienne mine de Tromsö
 
3 Novembre 1879
Tromsö. La ville la plus au Nord de la Norvège.
Mr E. n’a pas fait de grandes difficultés pour accepter de m’envoyer ici, bien au contraire. Je pense qu’il voit ça comme une punition. En réalité, non seulement j’ai bon espoir que la piste de la jusquiame noire soit fructueuse, mais en plus je devrais progresser d’autant plus vite sans ses garde-chiourmes sur le dos.
Evidemment, il va falloir s’adapter aux conditions locales. Au moins, j’ai pu avoir une chambre dans l’auberge locale. Bien que petite, elle est bien chauffée, ce qui va être le principal dans ces régions…
 
26 Novembre 1879
Début officiel de la nuit polaire. Nous ne devrions plus voir le Soleil avant mi-janvier.
Mon séjour se déroule mieux que ce que je pensais. Les gens d’ici sont chaleureux, accueillants. La plupart, en tous cas. Kathryn, la tenancière de l’auberge, est particulièrement amicale. Je ne sais pas trop si c’est de la curiosité envers un érudit comme moi, ou si ça indique quelque chose d’autre…
Quoi qu’il en soit, mes recherches avancent bien. J’ai eu un peu de casse en matière de verrerie, mais j’ai pu la remplacer chez l’apothicaire local. En revanche, il est moins fourni en plantes que ce que j’espérais. Il me faut une solution de remplacement.
 
3 Décembre 1879
J’ai rencontré une vieille autochtone du nom de Sikkà, qui m’a mené dans de vieilles mines désaffectées où trouver du psilocybe cyanescens. Evidemment, ce n’est pas la même variété que celle que Griffin utilisait, mais c’est un parfait substitut.
J’ai décidé de transférer mon laboratoire directement sur place, la température y étant bien plus stable et adaptée à mes travaux. Katy a gentiment accepté de m’apporter mes repas sur place. Je devrais avancer à grands pas.
 
9 Décembre 1879
Contrairement à ce que je craignais, la luminosité locale toute particulière s’est montrée précieuse. Mes essais sur les rats se sont avérés concluants.
Et tant mieux, d’ailleurs. J’ai reçu une lettre de Liverpool. Mr E. m’y donne diverses instructions pour préparer le vol d’un chargement dans un train, dans quelques semaines. Mais surtout, il veut des résultats. Si je n’ai pas terminé mes recherches à l’arrivée des hommes de main d’E., je suis dans de sales draps.
Tant pis pour la prudence, je vais devoir procéder à des tests plus risqués.
 
[date illisible, la suite est rédigée d’une écriture précipitée]
C’est encore plus incroyable que tout ce que j’avais imaginé. Quand je contemple le miroir je comprends l’émerveillement qu’à dû ressentir Galilée en observant les lunes de Jupiter pour la première fois !
[phrase illisible]
L’œil de mon esprit s’est ouvert à la chanson des aurores boréales, ne s’agit-il pas de la parole de DIEU ? N’ai-je pas atteint la TRANSCENDANCE ?
[série de gribouillis incompréhensibles, nombreux dessins de spirales noircissant la page]
 
18 Décembre 1879
De toute évidence, à la lecture de la dernière entrée de mon journal, la formule demande quelques ajustements. Katy m’a dit que je me suis absenté près de trois jours. J’aurais dit beaucoup moins… Je ne conserve des dernières heures qu’un souvenir très confus. Juste un sentiment… de victoire.
Car tout cela n’en demeure pas moins une victoire !
Quand je pense qu’E. et les autres pensaient que les notes de Griffin étaient inexploitables… Bien sûr, je ne dois pas tirer de conclusions hâtives. Il faut procéder à de nouveaux tests, avec prudence.
 
4 Janvier 1880
Ai reçu une autre lettre de Liverpool. Mr E. me demande des comptes sur mes travaux, et surtout veux savoir où en sont les préparatifs pour l’attaque du train.
J’avais complètement oublié. Mes recherches ont complètement pris le dessus.
C’est une catastrophe.
En plus, c’est Jack Thompson qui doit mener l’équipe d’intervention en Norvège. Cette brute sans scrupules n’hésitera pas à prendre toutes les sanctions nécessaires. Je suis perdu !
Et encore, si ce n’était que moi ! Mais il s’en prendra aussi surement à Katy…
Je peux encore m’en sortir.
 
17 Janvier 1880
Les effets de la formule sont de plus en plus stables, et de plus en plus longs. Pas étonnant. Tout cela n’était que des obstacles insignifiants face à mon intellect SUPERIEUR !
Katy s’inquiète pour moi. Elle dit que j’ai changé, et que des mineurs ont disparu. Qu’est-ce qu’elle y connait, cette provinciale superstitieuse ? PERSONNE ne me dit quoi faire. PERSONNE n’obtiendra MA formule. Ni E., ni les autres !
Qu’il vienne, ce gorille bas du front de Thompson ! Qu’il vienne ! JE PEUX FAIRE TOUT CE QUE JE VEUX.
Apparemment, les habitants de Tromsö me croient mort. C’est peut-être bien le cas… peut-être que la formule m’a tué, puis ressuscité…
Je serais alors un nouveau Christ… ET CETTE VILLE EST MON ROYAUME !

[texte retrouvé gravé sur une pierre dressée à Tromsö, intégrée au mur de la chapelle
traduit du grec ancien par Edward Phlington]
 
Moi, Pytheas de Massalia, inscrit ici mon histoire à la manière des habitants de ces contrées.
Cette pierre marquera l’extrémité de mon voyage.
Long fut mon périple pour parvenir en ces lieux, au-delà du monde connu.
J’ai franchi des montagnes de glace, barrant le passage à notre navire,
J’ai échappé à des titans des profondeurs, aussi blancs que la neige,
J’ai bravé la gueule rugissante et dévorante de l’océan lui-même,
Mais alors que je pensais enfin atteindre la divine île de Thulé,
J’ai découvert qu’en réalité je n’avais qu’à peine progressé.
 
L’île de Thulé existe, m’ont dit les habitants de ces contrées,
Mais seuls les dieux en connaissent le chemin,
Et seule la mort attend les mortels qui voudraient les imiter.
Elle se trouve encore plus loin au Nord, là où le jour et la nuit perdent leur sens.
Je suis déjà allé plus loin qu’aucun autre avant moi,
J’ai amassé trésors et connaissances au cours de mon voyage,
Parfois la sagesse est de reconnaitre que certaines choses sont hors de notre portée.
Parfois la sagesse est de savoir où s’arrêter.

"Ici, tous les personnages, toutes les histoires, sont inspirés de faits réels. Entièrement basés sur des archives ou témoignages, certains aspects de cette fiction ont été adaptés. "

Chapitre VI : Retour vers le futur

Munich, 10 Mai 1885. 
Selah et Rudolf sont accoudés au comptoir en train de savourer une bonne Splaten.

" J'étais là, assise, tenant les commandes du Cyrano, les yeux rivés sur les kilomètres de glace nous faisant face, durant cette nuit interminable ... "dit Selah en mimant ses gestes de conduite.

 " T'en reprendras bien une deuxième ?" l'interrompit Rudolf en lui effleurant le bras. L'ambiance feutrée de la taverne allemande se prêtait bien aux confidences.

Selah fit un geste affirmatif de la tête sans s'interrompre dans son récit: "J'ai valdingué contre la paroi, il ne m'a pas fallu plus de quelques secondes pour comprendre que la glace était en train d'endommager ma création. A peine l'appareil s'arrêtait que j'ouvrais l'écoutille et passais la tête dehors pour .. "

 "Et t'as même pas pris la peine de jeter un oeil à l'équipage avant de sortir ? "la coupa Rudolf.



"Si si quelques coups à la tête pour le doc, mais c'est des coriaces, pas la peine de s' inquiéter... un patin en moins tu te rends compte ? Heureusement la coque n'avait que quelques éraflures, deux trois petits coups de chalumeau et je t'ai redressé ça en deux temps trois mouvements"



" Et pendant tout ce temps..? notre moteur à l'arrêt ... ? dans le grand froid... ? ça n'a pas posé de problème... ?"

" Oh bah mon vieux ... va expliquer à un médecin à quoi sert un arbre à cames... j'ai bien vu à sa tête qu'il fallait utiliser des termes pour enfants ! Par miracle aucun souci avec le moteur, ce qui m'a laissé le temps de redresser l'appareil avec Marie et, après quelques "sueurs froides", de reboulonner le patin. Un petit discours de Dame Balfour, une petite piquouse du Sieur Grimwald et nous voilà repartis de plus bel.



" Mais ..? parce qu'il y a toujours un mais.. n'est-ce pas ma chère ?"



" Je t'ai déjà parlé de la dynamite ?



" N...



"Après quelques jours, on s'est retrouvé devant un mur d'icebergs incontournable...



"J'imagine bien la suite" marmonna Rudolf, la moustache trempant à moitié dans sa bière.



"... mais pas pour notre équipe, quelques trous dans la glace, un baton ou deux de dynamite glissés à l'intérieur, une longueur de mèche calculé au millimètre, laissant juste le temps à Marie de se retourner une fois le Cyrano atteint et contempler l'explosion. Imagine un jaune vif dans la nuit noire sur plusieurs mètres de hauteur projetant la glace dans tous les sens et brisant le silence dans un vacarme assourdissant, j'ai ressenti les secousses jusque dans le siège du Cyrano "



"Voilà une invention haute en couleurs ! J'aurais adoré admiré ça"



"Ca faisait juste une semaine qu'on était parti de Tromsö, reprit Selah les yeux dans le vague, en se remettant en position de conduite, j'admirais les aurores boréales qui se reflétaient sur la glace à travers la vitre du cockpit quand j'aperçus un point lumineux plein nord qui disparu le temps d'un battement de cils"



"Une hallucination sûrement "

"C'est ce que j'ai pensé aussi, à peine ai-je eu le temps d'interroger mes collègues qu'un épais blizzard s'abattait sur nous. Nous n'avons eu que très peu de temps pour nous décider, mais il était de toute façon trop tard pour faire demi-tour, l'excitation m'a envahi à l'idée de pousser notre moteur à plein régime et voir ce qu'il avait vraiment dans le ventre ! "

"Ne me fais pas languir plus longtemps Selah, a t'il tenu le choc ? "

"Ca a duré à peine quelques secondes, je me suis assurée que tous les niveaux étaient ok, j'ai ensuite jeté un coup d'oeil à la température de l'huile, tous mes sens étaient en éveil, j'avais l'impression d'entendre tous les engrenages du moteur tourner un à un, j'ai poussé la puissance progressivement 40.... puis 50... 60% ... dix minutes après on atteignait les 80% , les jauges commençaient à s'emballer mais le moteur tenait bon. Il aura fallu trente minutes et 92% de sa puissance pour qu'une soupape se mette à lacher, nous obligeant à nous abriter sur le flanc d'un iceberg".

" Mais c'est extraordinaire tu te rends compte ! trente minutes ! A 92 % de sa puissance ! en conditions réelles qui plus est : dans ce froid, en pleine tempête ! s'exclama Rudolf en agitant frénétiquement le bras de Selah. Garçon ! Deux Splaten s'il vous plaît ! Combien ? demanda t'il à Selah les yeux brillants "

"12 minutes 24 !"

"12 minutes 24 ? Dans ces conditions ?!" interrogea Rudolf incrédule.

"Oui mon Cher, très exactement 12 minutes et 24 secondes pour réparer la soupape et faire redémarrer le moteur ! Puis nous avons suivi le vieil homme jusqu'à sa grotte."

"Le vieil homme ? J'ai loupé un chapitre on dirait.

"Oui le vieil homme russe, celui qui est monté à bord lorsque je réparais la soupape, j'étais tellement concentrée que je n'ai pas prêté trop attention à son arrivée, néanmoins on ne refuse pas un petit coin même spartiate avec de la chaleur dans le grand Nord. Tu te rends compte ça faisait plus de trente ans qu'il restait ici en mission, sans aucun contact avec la civilisation, pour un tsar déchu ! "

"Seul ? 

"Il avait bien une équipe au départ mais on n'est pas bien sûr de ce qui leur est arrivé, d'ailleurs je me demande si cette voix que l'on a entendu frapper à la porte n'a pas un lien avec tout ça"

" Une voix ? J'ai du mal à te suivre Selah !"

"Demande lui donc la petite soeur à ce serveur ! 
Au moment où il se retourna, Selah lui susurra à l'oreille d'une voix chevrotante avec les mimiques d'une sorcière : "J'ai froiiidddd, j'ai faiiimmmm, ouvrezzz moiiiii "

Rudolf sursauta.

"Cette voix-là mon cher ami ! s'exclaffa Selah. Je peux te dire que "Papy - russe" n'avait pas du tout envie qu'on ouvre la porte ! D'ailleurs en parlant de papyrus, je suis tombée "par hasard" sur une carte de la légendaire île de Tullé

"Tu commences à divaguer Selah, je crois que tu as assez bu pour ton anniversaire, viens, je te ramène" dit Rudolf en passant son bras sous celui de Selah pour se diriger vers la sortie.

"Des tâches de sang... du grec ancien.. tu aurais vu la tête du professeur ! Plus blanc que la neige quand je lui ai montré ça !"

" Monte donc dans ce véhicule, il te ramène chez toi"

Mot d'adieu griffonné sur la page arrachée d'un cahier, retrouvé sous une tombe solitaire sur les côtes de Svalbard
(texte original rédigé en allemand)

Ci-gît un esprit brillant, un fou, un père.
 
La science démontre chaque jour que le monde obéit à des règles, à des lois immuables.
Faut-il y voir la preuve de l’existence d’un Être Suprême ? D’un Grand Architecte ? Je l’ignore.
Mais si Dieu existe, Lui-même doit obéir à ses propres lois.
Notamment en ce qui concerne la création de la Vie.
Les seuls moments où Dieu enfreint Ses propres lois, c’est quand Il est en colère.
A ces moments, la foudre du Ciel s’abat sur les pêcheurs et les mécréants.
 
Ci-gît un esprit brillant qui a réalisé que l’électricité, et donc la foudre, sont l’énergie même de la Vie.
Ci-gît un fou qui a exploité la colère de Dieu a ses propres fins.
Ci-gît un père qui a cherché à faire de son mieux.
 
L’enfer est pavé de bonnes intentions, mais les intentions sont justement ce qui fait de nous des gens de Bien.
Tu n’as jamais cherché à faire du mal à qui que ce soit, père, et je ne l’ai réalisé que trop tard.
Repose en Paix.
Je jure de faire de mon mieux pour honorer ta mémoire.
 
                                Ton fils

Journal de bord de l’HMS Terror
 
Par le capitaine J. Fitzjames
 
11 septembre 1845
Venons d’entrer dans la baie du Labrador. Sommes en vue de ce qui doit être l’extrémité Sud du Groenland, d’après nos calculs.
Le capitaine Franklin a pris le commandement de l’HMS Erebus, et a décidé de tenter de contourner le Groenland par l’Ouest. Je vais en faire de même par l’Est.
L’hiver s’annonce rude, rendant la navigation impossible quand la mer sera prise en glace.
Ai pris la décision de rallier l’Islande, où nous passerons l’hiver.
 
7 avril 1846
Quittons Reykjavik. Temps froid. Aucune perte à déplorer, mais l’hiver fut passé à l’abri. Je n’ose pas imaginer ce que ça aurait été si nous avions effectivement été pris dans la glace.
 
23 mai 1846
Escale sur l’île Jan Mayen. Avons croisé un baleinier norvégien. En avons profité pour acheter de nouvelles provisions, une partie des nôtres s’étant avérée gâtée.
 
12 juin 1846
Longeons en vain les côtes du Groenland. Rien que de la terre gelée à perte de vue. Aucune trace de passage maritime menant au Pôle Nord.
 
27 juillet 1846
Escale sur l’île Svalbard. L’équipage a besoin de se dégourdir un peu les jambes. Tenterons d’explorer les côtes groenlandaises jusqu’à l’automne, puis nous passerons de nouveau l’hiver à Reykjavik.
 
29 juillet 1846
Découverte inattendue. Des marins ont trouvé par hasard ce qui ressemble à un avant-poste russe, aménagé dans une grotte de l’île. Occupants tous morts de froid, sans doute au cours du dernier hiver.
Avons enterré les corps à proximité. Jefferson sait lire le russe, nous avons donc pu inscrire les noms sur les tombes : Piotr Georgyi, Sergueï Petrovitch, Valentin Suvarov, Dimitri Antonovich. Qu’ils reposent en paix.
 
3 octobre 1846
Navire pris dans la glace. Les températures sont descendues d’un coup, nous prenant par surprise. Pouvons espérer un léger redoux, qui nous permettra de faire voile vers le Sud.
 
24 octobre 1846
N’avons pas bouger depuis trois semaines. Les températures ne font que baisser, et la couche de glace ne fait que s’épaissir. Vigie morte de froid la nuit dernière. Allons surement devoir passer l’hiver ici.
 
8 décembre 1846
Avons perdu un vingt-quatrième homme à cause du froid. Les réserves s’amenuisent.
Le jour et la nuit sont devenus un perpétuel crépuscule gris. Si seulement je pouvais me réchauffer…
 
Jour inconnu, janvier 1847
Tellement froid, tellement faim.
La douleur dans mon estomac a disparue, remplacée par une sensation de vide épouvantable.
Si froid, si faim…
 
[les derniers mots sont écrits d’une main erratique, sans qu’aucune date ne soit précisée]
 
Juste une bouchée

Carnet de notes d'Eloïse Lannes (extraits)


Notes du 14 février 1880 :
Voilà près de 48h que nous avons laissé derrière nous l'épave de l'HMS Terror, non sans en noter soigneusement l'emplacement.
L'épave... et surtout ce ''Valentin'', ou quel que soit son véritable nom. L'ambiance à bord du Cyrano est... morose, tendue. Je ne trouve pas vraiment d'adjectif approprié.
Tout le monde se demande si l'abandonner ainsi était la bonne solution, moi y compris. Certains se disent que cela revient à une condamnation à mort, d'autres craignent (un peu irrationnellement) qu'il trouve un moyen quelconque de nous suivre malgré tout.

De toute manière, nous n'avons guère eu le loisir de réfléchir à cet évènement, car hier nous avons frôlé la catastrophe.
En effet, après être sorti de ce dédale d'icebergs enchevêtrés, nous avons atteints une région où (sans doute en raison de courants marins plus doux) la mer n'était pas gelée.
Autrement dit, fini de glisser sur la banquise : place à la démonstration de insubmersibilité de notre vaisseau !
Il est simplement dommage que la transition d'un terrain à un autre se soit faite en manquant de verser dans l'océan...
Il a fallu des heures d'efforts pour redresser le Cyrano, qui s'était immobiliser presque à 90° sur le bord de la banquise. L'usage savamment dosé d'explosifs par le Dr Heutenvalen, et de jeux de cordes par Mr Ulrikab, a toutefois permis de redresser la situation sans plus de casse.
(ça fait deux fois ''redresser'', penser à retravailler la phrase sans gâcher la tournure)

Avec tout ça, personne ne s'est souhaiter une joyeuse Saint-Valentin. Mais avec le souvenir encore frais vif du pseudo-russe dans les mémoires, cela aurait été déplacé.



Notes du 17 février 1880 : 
Comme nous allons probablement rester un temps enfermés à bord du Cyrano, j'ai tout le temps pour prendre des notes et même développer quelques photos.
Et quels clichés !
Notre expédition est d'ors et déjà un succès, car aujourd'hui nous avons découvert la preuve que des êtres civilisés vivaient dans ces contrées nordiques.
L'île, ou plutôt l'îlot, n'était pas directement sur notre trajectoire. Toutefois, l’œil acéré du Pr Phlington (qui semble avoir un instinct inné pour tout ce qui touche aux ruines) a repéré sur ce bout de rocher des structures trop régulières pour être naturelles.

En accostant sur place, nous avons constaté qu'effectivement, sur les pourtours d'une colline basse, se trouvaient encore des fondations !









Malgré cette mésaventure, le moral de l'expédition a été renouvelé. Il est certain que nous sommes sur la bonne piste, et j'ai hâte de découvrir ce qui nous attend dans la suite de ce voyage.

(Lettre du Père Francesco, écrite à bord du Cyrano)

21 février 1880
Quelque part au Nord du cercle arctique

A l'attention du cardinal Biscara,

Votre éminence,
Une fois encore, j’ignore si cette lettre vous parviendra un jour. C’est même très peu probable. Cette correspondance fictive me permet surtout d’y voir plus clair dans mes propres idées. Car nous vivons des temps sombres, et mes pensées sont troublées.
 
Hier, j’ai manqué de mourir.
 
Nous sommes repartis de l’île aux moustiques il y a trois jours, non sans y avoir mené quelques investigations supplémentaires. Le Dr Heutenvalen nous a préparé une savante concoction, une sorte de baume odorant, qui s’est avéré particulièrement efficace pour repousser les insectes surdimensionnés infestant l’île.
Mes camarades ont ainsi découvert quelques vestiges au milieu des broussailles et des rocailles de cet ilot perdu au milieu de nulle part. Le Pr Phlington a ainsi mis au jour les fragments d’une sorte de mosaïque primitive, représentant un être cornu aux sabots fourchus.
Le professeur l’a identifié comme un certain Mimir, figure des mythes païens de la Scandinavie, connu pour vivre auprès d’une source… La même source chaude que celle découverte sur place ? Nous l’ignorons.
Ce qui certain, c’est que nous ne savons que trop bien les implications d’une telle découverte. Sur la mosaïque, cet être aux attributs bestiaux était représenté dispensant des enseignements de sorcellerie à un parterre humain…
Nos pires craintes semblent donc fondées.
 
Nous avons ensuite repris notre route, avec la certitude renouvelée que la civilisation de Thulé (ou quel que soit son véritable nom) est aussi proche que réelle.
Mais hier, donc, nous avons frôlé la catastrophe. Le Cyrano s’est arrêté brusquement, mais sans choc véritable, un peu comme si nous nous étions échoués sur un banc de sable. Si dans un premier temps aucun indice ne nous permettait de savoir ce qui nous avait immobilisé, Mr Ulrikab a rapidement répondu à cette question en ouvrant l’écoutille inférieure.
 
Nous étions en réalité piégés par un monstre tentaculaire, une sorte de calmar géant qui devait bien mesurer plus de quinze mètres, soit aussi gros que le Cyrano lui-même !
La bête devait nous avoir confondu avec une baleine ou autre animal constituant ses proies habituelles. Toujours est-il qu’il semblait déterminé à nous entrainer avec lui sous les flots, et que le temps que nous réagissions le Cyrano commençait déjà à basculer vers l’arrière.
 
C’est à ce moment que j’ai commis une terrible imprudence. Alors que j’étais encore situé dans le poste de pilotage, j’ai vu par les hublots les tentacules du monstre commencer à enserrer notre vaisseau. Je me suis alors saisi d’une hache incendie avec la ferme intention de trancher les membres de la bête et lui faire lâcher prise.
Je suis sorti sur le pont, accompagné de Mlle Addle qui s’était également emparée d’une hache. Mais je n’avais pas fait trois pas que le calmar m’enserrait d’un de ses membres et cherchait à m’entrainer sous l’eau. J’ai bien essayé de me retenir au bastingage, mais il était vain de lutter contre une force aussi colossale.
 
J’ai bien cru voir ma dernière heure arriver au moment de basculer par-dessus bord. Ma dernière vision avant d’heurter la surface glacée des flots arctiques fut celle, improbable, du Pr Phlington juché au sommet de notre navire, brandissant un bâton de dynamite et le jetant sur le monstre.
 
La suite, ce furent mes camarades qui me la racontèrent. Par chance, la tête du calmar (vers laquelle il tentait bien évidemment de me ramener) était proche de l’écoutille arrière. Celle-ci était encore ouverte, alors que Mr Ulrikab avait lui-même eu maille à partir avec d’autres tentacules, et n’avait été secouru qu’in extremis par le Dr Heutenvalen (à l’aide d’un dispositif électrique expérimental sur lequel il faudra que je me renseigne à l’occasion).
Quoi qu’il en soit, le bâton de dynamite lancé avec justesse a aussitôt occis la bête, permettant à mes camarades de me repêcher sans grandes difficultés. Je souffrais toutefois déjà d’hypothermie, et il est heureux que nous ayons eu à bord des gens expérimentés sur ce genre de situations.
Notre docteur a toutefois précisé que sans ma robuste constitution, mes chances de survie auraient été bien minces…
 
Et c’est bien là le nœud du problème. Le doute n’est plus permis quant à l’existence de l’île de Thulé. Mais plus nous approchons, et plus les dangers semblent grands.
Je dois donc redoubler de prudence si je veux mener à bien la Sainte mission que vous m’avez confié. J’ai agi avec beaucoup trop de témérité face à ce calmar, et failli en payer le prix fort.
 
Voilà qui ne se reproduira pas.
 
Que le Christ soit avec vous,
 
                                Père Francesco


PS : j'ai retrouvé dans un de mes vieux ouvrages de marine une illustration du type de bâte qui nous a attaqué. Le livre précise que les calmars géants n'atteigne que rarement les 10 mètres, mais celui qui s'en est pris à nous était près de deux fois plus grand.

Notes personnelles de Marie Balfour (extraits)

23 février 1880
Nous sommes un lundi, et ce jour est à marquer d'une pierre blanche !
Le 23 février sera le jour où nous avons posé les yeux pour la première fois sur l'île de Thulé.

Il aura fallu des prouesses d'ingénierie, des mois de préparation, et le talent d'individus exceptionnels pour accomplir cet exploit.
La démonstration que l'intellect humain poussé à son sommet peut triompher des pires obstacles.
Ah, il est certain que nous n'aurions pas pu accomplir tout cela avec n'importe quelle équipe ! Quand je pense à tous ces petits parvenus de Paris ou de Londres, mesquins, paresseux et engoncés dans leurs plates certitudes...
Comment de tels individus ont-ils pu parvenir à de telles responsabilités ? Avec des gens comme ça à la tête de l'Europe, le continent court à sa perte.

Mais l'île de Thulé, donc.
Elle s'est présentée à nous comme un nuage sombre à l'horizon, puis a lentement grossi pour devenir un massif rocheux de couleur noire. Une véritable forteresse naturelle, faite de hautes falaises escarpées, frappée avec violence par les vagues glacées.
Inutile de tenter d'accoster ici. Même en supposant que le Cyrano ne soit pas fracassé contre les rochers, tenter d'escalader des falaises aussi verticales relève du suicide.
Nous allons donc contourner l'île jusqu'à trouver un point d'accostage.

[texte retrouvé gravé sur une pierre dressée sur une plage de l'île de Thulé
traduit d'une forme de vieux norrois par Edward Phlington]

Cette pierre fut érigée par (Svartr, soit ‘’Noir’’, mais présenté ici comme un nom propre) du clan du Renard.
Ici se dressait jadis la ville d’Asgard, demeure des (mot-valise composé de ‘’mauvais rois’’ et ‘’bâtards’’).
Ici s’étendait la grande plaine de (Vigrid ?) où eu lieu la plus terrible des batailles.
En cette nuit de malheur la ville fut dévorée par les flammes.
Cette pierre fut érigée par Svartr, pour que l’on sache ce qui arriva. 

Les Sages avertirent qu’attaquer Asgard signifiait la Mort (emphase, majuscule)
Mais les (terme flou – alfar ?) répondirent : plutôt mourir dans une guerre perdue d’avance,
Que vivre en esclaves sur leurs propres terres.
De l’île de (nom incompréhensible) aux montagnes de Jötunheimen (ndt : montagnes au Sud-Ouest de la Norvège)
Chacun des neuf clans répondit à l’appel.

Amarok, Fils-de-Loptr, champion du clan du Loup,
Jormung le Grand, chef du clan du Serpent de Mer, 
Hel et Helja, (terme flou – druidesses ? prêtresses ?) du clan du (illisible).
Tels sont les noms de celles et ceux qui menèrent notre peuple, 
Chargèrent les (mauvais rois / bâtards), à la mort et à la fin du monde.

L’assaut fut donné pendant (mot valise composé de ‘’hiver’’ et ‘’longue nuit’’).
Nombreux furent les exploits sur la grande plaine de Vigrid.
Nombreux furent celles et ceux abattus par les (‘’Rois-Bâtards’’)
Mais finalement aucun n’échappa à la fureur des alfars,
Et les survivants festoyèrent au milieu des flammes de leurs halles.

Hélas ! L’avertissement des Sages était vrai.
Les plus grands rois et reines des neuf clans étaient tombés.
Les (‘’Rois-Bâtards’’) furent vaincus, mais les alfars ne gagnèrent pas.
Voici venir l’ère des humains, la surface leur appartient.
En cette pierre réside la seule immortalité.

  Lorsque nous avons aperçus cette île, inconnue et mystérieuse, ainsi que quand j’ai traduit cette pierre gravée, l’excitation et la curiosité m’emportaient littéralement au septième ciel… Nous avions trouvé Thulé ! Nous venions de faire l’impensable !
  … C’est pour cette exacte raison que je ne me remets toujours pas de ce qu’il vient de se passer. Comment, alors que découvrions les ruines d’un peuple nordique inconnu, les choses ont-elles pu escalader si vite ?  Qui aurait pu croire que mademoiselle Balfour avait de telles opinions, de tels plans pour l’expédition et de telles méthodes ? Et qui donc aurait pensé que le père Francesco ferait ainsi son possible pour détruire l’expédition et pour préserver le secret de Thulé ?
  Mais je vais trop vite. Je n’écris pas ces lignes pour me plaindre, je les écris pour me libérer du poids qui me pèse dans la poitrine… Ainsi, je me dois de noter les évènements aussi rigoureusement que possible.
  Tout a commencé juste après que nous ayons trouvé un cratère dans l’île, dissimulé derrière l’étrange grotte de quartz que nous avions remarqué. A peine avions nous débuté la fouille du lieu que Miss Balfour planta le drapeau de la société de Thulé dans le sol, déclarant que notre découverte était la preuve de la supériorité des peuples européens ce qui causa une vive réaction de la part de nos membres.
  Le père Francesco fut certainement celui avec la réponse la plus… Surprenante. Il a en effet révélé travailler en secret pour le pape (bureau In Pectore) avec l’objectif de dissimuler notre découverte aux yeux du monde.
  A ce moment-là, Abraham, sur les ordres de Balfour, tira sur le père Francesco qui sauta se cacher au sein des ruines. Abraham révéla alors que Francesco avait volé une pièce du moteur et voulait tous nous laisser mourir ici. Bien que j’ai essayé de me dissimuler, dans l’espoir de suivre le déroulement des évènements sans trop m’impliquer, je fus contraint d’accompagner les autres dans leur chasse à l’homme… D’autant plus qu’Abraham révéla que Balfour le faisait chanter en menaçant sa famille…
  Après un certain temps, le Docteur Grimwald est parvenu à tirer un sédatif sur Francesco. Abraham et moi avons alors tenté de piéger Balfour en l’approchant de la ligne de mire. Malheureusement, Balfour l’a remarqué et c’est moi qui me suis pris le sédatif, juste à côté d’un gouffre volcanique…
  Il n’y a aucun mot pour décrire ce que l’on ressent quand on perd le contrôle de son corps, que l’on tombe dans un puit de lave et que l’on perd connaissance. Je n’aurai jamais pensé me réveiller, je n’aurai jamais pensé survivre…
  Indubitablement, j’ai une immense dette envers Abraham pour avoir pris le risque de me rattraper. Il est certain que je ferai tout mon possible pour l’aider à sauver sa famille… Bien que le fait qu’il ait tué Balfour m’inquiète. J’ai déjà été accusé de meurtre une fois, je ne tiens pas à ce que cela se reproduise…
  Il faudra que je discute avec les autres de la version des faits que nous allons raconter au reste du monde…

Encore deux minutes après le vacarme assourdissant de l'explosion, une pluie de tintements sporadique continue de retentir de l’intérieur de la caverne. Le seul accès à notre connaissance vers cette cité, condamné par Philington dans un geste impulsif, la même personne qui avait consacré tant de temps et d'énergie à la trouver. Pour ma part, je suis presque indiffèrent à cette perte. Elle n'est rien en comparaison de ce que j'ai moi même du laisser derrière... la confirmation de la capacité technique, accessible à l'homme, de créer ou recréer la vie. Ce n'est pas moi qui ai décidé d'abandonner derrière nous cet incroyable accomplissement qui aurait mérité des mois de travail et d'études supplémentaire. Mais je m’égare... Je dois reprendre les faits à partir de la mise à mort de Balfour par Abraham.
Profitant d'un moment de flottement après le choc de cette exécution j'ai prétexté d'aller jeter le corps de cette femme aux théories ridicules pour l'emmener dans un endroit ou je pourrais en faire mon sujet. C'était sans compté sur la vigilance de Philington mais contre toute attente celui-ci m'accorda sa confiance et me laissa partir. Nul doute que personne d'autre parmi l'équipage n'aurait manifesté la même ouverture d'esprit. Les évènements qui suivirent le démontrèrent parfaitement.
Alors que je travaillais en me basant sur les note de feu Victor Frankenstein, une longue concertation commença en mon absence afin de déterminer la suite des évènements. Des négociations furent tenue avec le Père Francesco, toujours immobilisé après que je lui ai administré un tranquillisant. Il en ressortit que le cabinet d'investigation du Vatican contribuerait à la libération (pour ce que vaut la parole du prêtre) de la famille d'Abraham contre notre consentement à ne pas diffuser nos découvertes.
La recherche dans la clandestinité m'est tout sauf étrangère. Je ne poursuis pas mon travail pour en récolter des lauriers. Je ne fus donc pas difficile à convaincre lorsqu'on me consulta plus tard pour connaître mon avis sur cet accord.
Après cette interruption je retournai à mes expériences qui, pour le reste de cette journée, ne semblèrent mener nulle part. Ma déception serait de courte durée.
Le lendemain lors d'un frugale petit déjeuner nous fument choqués de constater une nouvelle présence parmi ces ruine. Le choc fut encore plus grand lorsque nous reconnûmes celui qui venait d'entrer de le cratère: le marin isolé que nous avions rencontré des jours plus tôt et abandonné à son sort malgré mes protestations. Probablement fébriles suite au récentes violences, mes compagnons de voyage l'attaquèrent sans sommation, sans effet. Cette fascinante résilience aurait suscité un immense intérêt chez moi si quelque chose d'encore plus incroyable ne s'était pas produit au même moment: Balfour, finalement animée par mes expérimentations se tenait de l'autre côté de cette scène.
La créature (car il n'avait pas grand chose d'humain et ressemblait curieusement aux étranges reste que j'avais découvert le jour précédent) qui avait été le Marin russe prénommé Valentin, se fendit d'un long discours sur la ville, sur une guerre qu'il y avait mené... la plupart de son discours m'échappait car j'étais trop occupé à contempler ma création. Je me souviens juste l'avoir entendu se donner le nom d'Imir.
Abraham, cette instable brute à la gâchette décidément bien trop facile tira de nouveau mais sur mon oeuvre cette fois. Je fus surpris de découvrir un effet secondaire imprévu: cette Balfour recrèée n'éprouvait aucune forme de souffrance. L'impact semble déclencher en elle un réflexe d’agression à l'égard d'Abraham. Je tentai de m'interposer mais la brutalité de l'éclaireur et celle du corps de l'exploratrice eurent raison de mes maigres effort et je perdis conscience pendant quelques temps.
Entre temps le professeur Philington découvrit que la créature était responsable de la mort de son confrère dont il avait été injustement accusé. A cette révélation même lui perdit à son tour sang froid. Il attaqua l'être dont la résilience n'avait d'égal que celle de mon sujet. Leur lutte les amena au bord du gouffre où ils sombrèrent ensemble. S'eut été aussi le cas d'Abraham qui se défendait comme un diable sous les assauts de mon inestimable réussite si je n'eut pas fais le choix difficile de préserver sa misérable vie plutôt que celle que j'avais régénéré. D'un coup de fusil je le libérai et poussai le corps de Balfour dans l'abysse.

Soudainement débarrassé de ces deux forces de la nature, Abraham et Selah travaillèrent ensemble à remonter Philington tombé inconscient plus bas dans le gouffre. Lorsqu'il fut ramené je profitais de l'équipement d'escalade afin de descendre moi même pour savoir si mon sujet était irrémédiablement perdu. Sur un replat plus bas dans le gouffre je découvrit non seulement le corps disloqué de Balfour mais aussi celui de la créature Imir dont la tête avait été mystérieusement retirée. Face à ces deux fascinants objets d'étude je du faire un choix et même remonter Balfour s'avéra être une tâche bien trop ardue mon humble constitution. Dans la mesure ou les dégats ne semblaient avoir aucune incidence sur la vitalité du corps j'amputai les membres superflus et remontai hors du cratère.

Inévitablement mes confrères, engoncés dans leurs principes judéo-chrétiens furent pour le moins hostile en me voyant émergé avec cet échantillon. Il me fallu toute ma volonté pour les empêcher de ruiner plus encore mon inestimable création. Ils consentirent à me laisser mener quelques dernières expériences mais me firent jurer de m'en débarrasser avant notre imminent départ. Je tirai le meilleur de ces derniers instants et consignai mes observations pour une dernière journée puis jetai avec résignation le buste dans le cratère dont je l'avais tiré avant de rejoindre le groupe prêt à partir.

Et c'est ainsi que nous nous retrouvâmes sur les plages de l'île de Thulé, sur le point d'embarquer dans notre fidèle Cyrano remis en service. Ma seule consolation est d'avoir emmagasiné suffisamment de donnée pour, si l'avenir est propice, reproduire ces incroyables résultats et peut être même des meilleurs: en effet mon prochain objectif est de parvenir à une réanimation similaire sans que le sujet se voit priver de ses facultés mentale. Bien que, dans le cas de Fraulein Balfour, cet effet eut des airs d'aubaine, je doute que la faculté de concevoir des marionnettes de chaire aux capacités cognitives limitées puissent avoir une quelconque application constructive. Un usage militaire peut être?... Non. Les évènements récent ont parfaitement montré que les despotes n'ont pas besoin de ce genre de pouvoir pour commettre les pires atrocités. Ma recherche n'aura de valeur que lorsqu'elle aboutira au seul résultat qui en vaille la peine: l'immortalité!