Europe 1880 - Tribulations Extrême-Orientales

Voilà voilà, c'est sur les pages de ce sujet que s'étaleront bientôt les pérégrinations d'une poignée de pauvres passagers qui auraient sans doute mieux fait de rester chez eux.

Dans l'immédiat, vous êtes donc encouragés à y poster un background succinct (et une photo d'illustration si l'envie vous en prend).

Pour tout ce qui est communication pratique, on passera de préférence par le discord.

A vos claviers.

Petit rappel géographique de la zone où se déroulera l'action :

Lucien Beaujean
Français, 24 ans, fils d'un notaire nantais. En route pour Pékin où il prendra ses fonctions de précepteur des enfants de son excellence Pichon, ambassadeur de France en Chine.

"Salutations camarades chinois ! Je suis Josepe Cerro et je viens vous aidez à vous libérer des chaînes avec lesquelles vous ont asservi les bourgeois !"
Voilà, ce sera parfait comme annonce pour marquer mon arrivée à Pékin. Ça, ajouté à mon charme hispanique et à la fougue de mes 30 ans, devrait suffire à susciter l’intérêt de nos frères du Levant !
Mais pour l'instant j'ai des milliers de pelletées de charbon qui m'attendent avant que ce bateau ne pénètre dans le port...

Agnès Dufour, Infirmière un peu après la fleur de l'âge (38 ans), un peu portée sur l'alcool (mais il ne faut lui dire), entre la guerre et les hommes elle a de quoi boire !

Pushkin Sergei Svyatoslavovich, 35 ans, secrétaire administrateur général des industries sidérurgiques железо (Zheleza), envoyé en extrême orient comme promoteur du grand projet ferroviaire du Trans-sibérien, pour des recherches de marchés et des négociations commerciales avec les puissances locales (notamment l'empire de Chine), dans le but de faire fructifier les économies et les peuples.

Journal de bord du paquebot Pacific, de la White Star Line (extraits)

Par le capitaine W. Shatner.

22 septembre 1879
Départ de Liverpool. Début du voyage sans encombres.

Ai fait le point avec l'ingénieur-chef de quart sur l'état des machineries. Rien de spécial à signaler, les carnets d'entretien sont scrupuleusement remplis.

L'ingénieur-chef a souligné la compétence irréprochable des nouvelles équipes de machinistes. La direction de la White Star Line a trié les recrues sur le volet, même les simples aides-manoeuvres devant justifier d'une expérience dans le domaine.
A titre personnel, ai des doutes sur cette stratégie. Mettre ensemble des individus compétents ne donne pas forcément une bonne équipe. Espérons que le voyage sera l'occasion de nouer des liens et d'apprendre à se coordonner.


2 octobre 1879
Escale dans le port français de Saint-Nazaire. Embarquons de nombreux nouveaux passagers. Le reste des voyageurs devrait monter à bord dans nos prochaines escales de Lisbonne, Marseille et Naples. La suite du trajet devrait voir beaucoup moins d'allers-et-venues.
Discipline à bord satisfaisante, aussi bien parmi les passagers que parmi les marins.
Ai donné la consigne d'insister auprès des passagers sur le règlement sur le transport des armes. Les pistolets et armes de poing doivent rester en cabine, les fusils et armes plus lourdes voyagent en soute et ne seront restituées qu'à l'arrivée. La dernière chose dont nous avons besoin à bord est un passager éméché se prenant pour un rebelle américain.


17 novembre 1879
Arrivée à Port-Saïd. Nous préparons à franchir le canal de Suez. Étape toujours délicate. Aucun problème à signaler avec les autorités ottomanes, mais ai toujours cette crainte absurde que le vent nous fasse dériver et que le navire se coince dans le canal, dans le sens de la largeur.
Anecdote personnelle : alors que je faisais une ronde sur le pont de promenade 2e classe, un couple de passagers (Mr et Mme Chantrain) m'a interpellé et demandé avec insistance à quel moment l'on pourrait apercevoir les pyramides. Leur ai répondu que cela dépendait malheureusement de la météo.


25 novembre 1879
Escale à Aden. Comme le veux le protocole de la compagnie, ai accepté de dîner avec certains passagers. Notamment Mr Lucien Beaujean, affirmant bien connaitre l'ambassadeur de France à Pékin et entretenir une correspondance épistolaire avec lui.
Conversation pas désagréable, qui a inévitablement fini par tourner autour de la politique chinoise. Ai tenu à rassurer les passagers. La Chine est pacifiée et tenue d'une main de fer par l'impératrice Tseu-Hi (qui n'est d'ailleurs officiellement que la régente, mais les héritiers dont elle assure la régence ont la fâcheuse tendance à décéder avant leur majorité).
Note personnelle : penser à féliciter le maitre-queue. Emilien Lepoix, le chef français, prépare une tarte au citron meringuée qui est un véritable délice !


14 janvier 1880
Avons franchi Singapour, et entrons donc en mer de Chine. La fin du voyage approche.
Moral globalement bon, aucun incident sérieux à signaler.
Tout au plus quelques bagarres en soute entre machinistes, rapidement recadrées par Mr Cockstock, le contremaitre des chauffeurs.
Quelques soucis également avec certains passagers, en particulier Mme Hortense McDuncan, en 1ère classe, dont je reçois des plaintes au sujet du personnel à peu près tous les jours. A noter que les plaintes du personnel à son sujet sont tout aussi nombreuses.

Mais peu importe. Temps agréable, mer calme, pouvons naviguer à la voile et économiser le charbon. Devrions filer sans encombres jusqu'à Pékin.
Une véritable croisière de plaisance.

" Cher George,

Quel voyage ! Moi qui croyais naviguer tranquillement vers la Chine où je vous rejoindrais dans vos aventure palpitantes, me voilà embarquée dans une bien étrange situation à la fois terrifiante et tellement excitante ! Notre bateau a été pris d'assaut par des pirates ! Voilà enfin une opportunité de mettre en pratique mes talents de détective ! Eh oui, cher frère, me voilà maintenant déguisée en pirate chinois ! N'est-ce pas impressionnant ? Et quel déguisement, je ne suis pas peu fière de moi, et je suis sûre que vous seriez fier vous aussi ! 

Je suis tellement excitée, et j'ai déjà des pistes de réflexion sur l'identité de nos agresseurs. C'est vraiment incroyable, j'ai l'impression d'être l'héroïne d'un film à succès ! Bien que le plaisir soit, il faut bien l'avouer, gâché par ce sexiste de Joseppe ! Un espagnol qui fait partie de notre petit groupe dont je suis à la tête ! Eh oui, le coup du théâtre et du déguisement pour passer inaperçu, c'était mon idée ! J'ai certes reçu un coup de machette à la taille mais ne vous en faites pas pour moi cher frère, je vais bien. Et Agnès, l'infirmière de notre groupe, a pu soigner mes blessures. Oh, et vous auriez dû voir avec quelle hargne je me suis battue et comment j'ai sauvé Monsieur Beaujean, un français de première classe, d'une mort certaine ! 

Cela dit, les pirates sont toujours à bord et il y a pire. Joseppe et Sergei, le russe dont j'ai du mal à comprendre tout ce qu'il dit, ont tenté de saboter les turbines du navire mais je doute qu'ils y soient réellement parvenus et de toute façon, nous sommes de nouveau cernés. Un bateau s'est rapproché de notre navire et l'a pris d'assaut à son tour, bien que le silence qui règne sur les passerelles soit plus terrifiant encore que le regard haineux de ces pirates, ces forbans.  D'autant plus que selon M. Beaujean, c'est Madame Chin (pas certaine que ça s'écrive ainsi mais peu importe)  qui est à la tête de ce bâteau et il paraît qu'elle ne fait pas dans la dentelle...

J'espère seulement que je n'aurai pas à traverser les conduits d'aération de nouveau et à subir l'odeur exécrable de cet espagnol sans cervelle !

Pour le moment, nous restons sur la passerelle et attendons la nuit pour agir en toute discrétion.

J'espère que cette lettre vous parviendra un jour et vous écris bientôt pour vous tenir informé de l'avancement de l'enquête !

Bien à vous,

E. Smith"

(brouillon d'une lettre pas encore envoyée, par Mme Hortense McDuncan)


Objet : demande de remboursement d'un billet 1ère classe sur la ligne Liverpool - Pékin

A l'attention de la direction de la White Star line

Monsieur,

Avant toute chose, je tiens à préciser que ce courrier est le fruit d'une réflexion raisonnée et objective, et en aucun cas le délire hystérique d'une passagère déçue.
En effet, déçue, je ne le suis pas.
Dès le départ, je n'avais guère d'attentes au sujet de votre compagnie. Je ne reviendrais pas sur les conditions de voyage déplorables de votre prétendue première classe.

Entre autres : impossibilité de voyager avec des animaux domestiques (mes douze chats ayant dus rester en Ecosse), impolitesse du personnel (notamment du maitre-queue, parlant avec un accent incompréhensible, probablement français), détérioration de mes bagages (dont un sac écorné, voir photos ci-jointes).


Etant d'un naturel patient et prompt au pardon, tout cela j'aurais pu l'ignorer.
Mais la goutte d'eau qui a fait déborder le vase a été l'attaque dont nous avons fait l'objet courant janvier en mer de Chine.
Tout cela est une violation évidente et éhontée de vos propres conditions générales de vente, et en particulier du paragraphe 2 de l'article 5 concernant la sécurité à bord (en bas de la page 9).


A votre décharge, je dois souligner le comportement du capitaine Shatner (individu certes obséquieux et dont la conversation réussissait le tour de force d'être à la fois plate et creuse) qui jusqu'au dernier moment s'est efforcé de convaincre les pirates asiatiques de l'absurdité de leur détournement.
Les barbares chinois n'ont trouvé comme meilleur argument que l'idée de tacher la moquette du grand hall avec la cervelle du capitaine, à l'aide d'un revolver certainement de fabrication britannique. Conséquence indirecte et malheureuse de la trop grande liberté accordée à la circulation des marchandises de nos jours, mais qui aura eu le mérite de démontrer que Mr Shatner avait en fait bien quelque chose entre les deux oreilles.



Mais donc, figurez-vous que cette attaque déclenchée nuitamment n'avait pas pour but de détrousser les passagers, mais de rediriger la course du Pacific vers le port de Manille, dans les îles Philippines.
Si l'objectif final de ce détournement me dépasse quelque peu (quoi que j'ai entendu dire que les pirates auraient eu pour projet de tirer rançon de la plupart des passagers et de revendre les autres comme esclaves), cela constitue surtout un retard de plusieurs jours sur la date prévue.
Retard encore aggravé par l'évident sabotage des machines fomenté par certains passagers se prenant pour des héros de feuilleton.


Par conséquent : en plus du remboursement du billet, je suis en droit de demander également le versement de pénalités de retard proportionnelles au retard accumulé (comme stipulé dans l'annexe C de vos conditions générales de vente).


(fin du brouillon)

Brouillon de compte-rendu d'interrogatoire de Mr et Mme Chantrain

Par l'inspecteur G. Smith, Scotland Yard.

Retranscription manuscrite de l'enregistrement phonographique, annotations de la main de l'agent Smith.

[début de l'enregistrement]

Agent G. Smith : Mr Chantrain, si je résume rapidement notre première entrevue... Les pirates sont donc passés à l'attaque dans la soirée de mercredi, vers 23h, horaire dont vous êtes sûr car vous vous apprêtiez à vous coucher avec votre épouse. Horaire confirmée par Mr John Chadurck, barman 2e classe, que vous avez croisé juste après, alors qu'il terminait son service.

Mr E. Chantrain : Exactement. Même si sur le moment on ne savait pas trop ce qui se passait. L'alerte a surtout été donnée par notre camarade russe, Mr Syvato... Svyoto...

Mme M. Chantrain : [interrompant son mari] Svyatoslavovich.

Agent G. Smith : Effectivement, mais tout cela nous en avons déjà parlé. Vous avez donc rejoint les cuisines, guidés par le barman et en empruntant les coursives de service. Là, vous avez fait jonction avec d'autres passagers, venant de la 1ere classe...

Mr E. Chantrain :  [coupant la parole] Dont votre soeur, donc ! Maintenant qu'on y pense, il y a bien une ressemblance... Dans les yeux, surtout. [se tourne vers son épouse] Qu'est-ce que tu en penses, ma chérie ?

Agent G. Smith : Peu importe, et pour vous ce sera Mlle Smith. Bref, vous avez alors décidé de vous glisser discrètement jusqu'au théâtre en passant par les gaines de ventilation, et de là atteint le poste de communication via le pont supérieur.

Mr E. Chantrain : Exactement, à la faveur de la nuit. Il a quand même fallu neutraliser le trio de pirates qui gardait le poste.

Mme M. Chantrain : Vous auriez dû voir ça, monsieur l'inspecteur ! Edmond en a assommé un d'un seul coup !

Mr E. Chantrain : [visiblement très fier de lui] J'ai fais un peu de savate dans ma jeunesse, il faut dire qu'à l'époque...

Agent G. Smith : [coupant court à la digression] Monsieur, madame, un peu de concentration... Suite à cela, vous avez passé la journée de jeudi cachés dans le poste de communication. Certains d'entre vous ont eu l'idée d’enfiler les frusques des pirates pour tromper la vigilance des autres bandits. C'est à ce moment que vous avez découvert par hasard l'existence d'un conduit de service le long de la cheminée, servant au ramonage et permettant de descendre vers les cales sans être vu.

Mr E. Chantrain : Exactement. Pur hasard, comme vous dîtes. La journée était longue, je cherchais quelque chose à lire, et je suis tombé sur ce cahier de maintenance...

Agent G. Smith : Et que s'est-il passé ensuite ?

Mr E. Chantrain : Et bien... à la nuit tombée, les autres se sont portés volontaires pour aller chercher des vivres, étant donné que nous ne savions pas quand allaient arriver les secours. L'idée était aussi, si possible, de ralentir de nouveau le navire par un autre sabotage. Les volontaires étaient votre soeur... je veux dire Mlle Smith... Mr Beaujean, ce monsieur distingué... Joseppe, le machiniste... cette courageuse Mlle Dufour... et enfin le russe, Mr Satavo... Sovyeto...

Mme M. Chantrain : [interrompant son mari] Svyatoslavovich.

Mr E. Chantrain : C'est ça. Moi et mon épouse sommes restés au poste, par contre. On ne sait pas trop ce qui s'est passé en bas. Nous avons ressentis de grands chocs, deux ou trois, très puissants, qui ont fait vibrer tout le navire ! [tape du poing sur la table à ce moment pour illustrer son propos, suis obligé de retenir le phonographe qui manque de basculer]

Agent G. Smith : [passage inintelligible] ... de ne pas recommencer ! J'interrogerai plus tard les autres témoins au sujet de ces chocs. Et ensuite ?

Mr E. Chantrain : Le groupe est remonté de la cheminée, avec des victuailles, mais sans le machiniste. Nous n'avons pas top eu le temps de les interroger sur ce qui s'était passé, car au même moment il y avait tout un rassemblement de pirates vers l'avant du navire.  Dont cette femme, là, sur la photo derrière vous... Mme Shing. La voir en chair et en os, c'est autre chose !

Mme M. Chantrain : Même si son style vestimentaire est un peu tape-à-l'oeil, un peu vulgaire...

Mr E. Chantrain : C'est vrai qu'elle aurait pu faire penser à la tenancière d'une maison close... [Mme Chantrain interrompt son mari d'un coup de talon sur le pied] Non pas que je m'y connaisse en la matière, bien sûr.

Mme M. Chantrain : Toujours est-il que les autres ont décidé d'aller espionner leur conversation de plus près. Nous avons bien essayé de les en dissuader, mais sans succès... Il vous raconterons mieux que nous ce qui s'est passé à ce moment.

Agent G. Smith : Certainement, car pour le moment ça me semble assez confus... Ce qui est sûr, c'est que c'est à ce moment que les pirates ont assassiné le passager japonais, Mr Taishi.

Mr E. Chantrain : Exactement. Les autres sont revenus, et c'est peu après, vers l'aube, que les choses ont réellement mal tournées. Encore plus qu'avant, je veux dire.

Mme M. Chantrain : D'autres pirates sont venus relever leurs comparses, et la supercherie du déguisement n'a pas tenue. Ils ont donné l'alerte, et nous avons tout juste eu le temps de barricader le poste de communication avant qu'une horde de pirate ne nous attaque !

Mr E. Chantrain : Nous avons littéralement rejoué Fort Alamo. Et tout ça avec seulement une poignée de revolvers ! Heureusement que nous avions de bons tireurs... Dont votre soeur, d'ailleurs ! Ah ça, je peux vous dire qu'elle aurait pu rivaliser avec Luke le Chanceux ! [mime des revolvers avec ses doigts]

Agent G. Smith : Qui ça ?

Mme M. Chantrain : Vous savez, ce mercenaire, en Amérique... Il y a eu un article sur lui dans le journal...

Agent G. Smith : Peu importe. Revenons à cette fusillade.
[Important : penser à interroger Elisabeth sur ce sujet]
[Important bis : ne pas oublier d'effacer cette note du rapport final]

Mr E. Chantrain : Pour être honnête, nous n'en menions pas large... Mlle Dufour avait été blessée, alors que c'était notre seule infirmière. Mais nous nous défendions comme des lions ! Vous auriez dû voir ma femme ! Dès qu'un pirate tentait de passer par une fenêtre, elle lui mettait un de ces coups d'étagère ! Je savais déjà qu'elle avait de la force dans les poignets, mais... [Mme Chantrain interrompt son mari d'un coup de talon sur le pied] Mais ce qui compte, c'est que par chance nous avons repéré votre navire à ce moment.

Mme M. Chantain : Exactement. Vous êtes arrivés au bon moment. La fusillade, comme vous dîtes, virait au massacre. Il y avait des corps partout !

Agent G. Smith : A ce propos, madame, j'espère que vous n'êtes pas trop secouée ?

Mme M. Chantrain : [balaye l'air de la main] Oh non ! Vous savez j'ai déjà vu des morts dans le journal...

[fin de l'enregistrement]

Carnet de notes de l'inspecteur George Smith (extraits)


Hypothèse générale : voilà des mois que la Compagnie des Indes patrouille les eaux de la mer de Chine pour stopper les navires de Ching Shih. Il est évident que ce détournement de paquebot ne passerait jamais inaperçu ! Atteindre les Philippines était un projet voué à l'échec dès le départ.
Or : Ching Shih n'est ni stupide, ni téméraire. 
Conclusion : ce prétendu détournement n'est qu'une couverture, une diversion servant à dissimuler une autre action s'étant également déroulée à bord, mais du coup passée inaperçue.
- vol d'un bagage en particulier ?
- enlèvement d'un passager prestigieux ? (après comptage des morts et des survivants, personne ne semble manquer à l'appel)
- assassinat d'un passager en particulier ? (mais pourquoi le faire discrètement ?)
- au contraire : cacher quelque chose ou quelqu'un à bord (les fouilles n'ont rien donné pour le moment)
A creuser.


...


Discussion avec Elizabeth. Apparemment, non seulement elle a décidée d'elle-même de voyager seule, mais en plus avec la bénédiction de maman !
Il fallait s'y attendre, les femmes de la famille ont toujours été des fortes têtes...
Ce qui m'inquiète, c'est que la situation en Chine (et même le monde réel en général) n'a pas grand-chose à voir avec les romans policiers qu'elle lit depuis des années. 
Depuis que je fais ce métier, je patauge dans la crasse, le sang, et surtout l'indifférence d'un monde de politiciens pour moitié corrompus qui se fichent pas mal de la survie de leurs propres concitoyens ! Je rêve d'un monde dirigé par la police, où les citoyens pourraient dormir tranquilles, en sachant qu'on veille sur eux.
Au moins, en attendant, Elizabeth sait se défendre. On peut accorder ça à maman, savoir se servir d'une arme ne fait jamais de mal.


...


La White Star Line fait des pieds et des mains pour me ralentir. De toute évidence, ils n'ont pas spécialement envie que je mette mon nez dans tous leurs registres. Pour couronner le tout, je suis assailli toute la journée par les doléances des passagers de 1ère classe, alors qu'elles n'ont aucun rapport avec la raison de ma présence !
Ai donc pris la décision de me reposer en partie sur le groupe des ''saboteurs'', qui ont su si habilement mystifier les pirates pendant leur séjour à bord.
Entre autres : enquêter plus sérieusement sur le fameux Mr Taishi, citoyen japonais, dont l'entretien privé avec Madame Ching est des plus suspects.


...


Bilan de la fouille de la cabine de Mr Taishi : rien.
Pas d'effets personnels, pas de souvenirs, uniquement le strict nécessaire. Les vêtements, les bagages... tout semble avoir été acheté dans des grands commerces.
Détail particulier : la cabine semblait soigneusement rangée. J'avais pourtant donner l'ordre que le personnel de bord n'y touche pas.
- quelqu'un est-il malgré tout passé avant nous ?
- Mr Taishi a-t-il lui-même procédé au rangement de sa cabine ?
- était-il simplement quelqu'un de très soigneux ?
Par ailleurs, Mlle Dufour a procédé a un examen du corps (conservé avec les autres victimes dans une des chambres froides de bord). Aucun signe de lutte, ne semble ni avoir été restreint, ni s'être défendu... Présence de vieilles cicatrices, indiquant un passé militaire ?
Le garde du corps, quant à lui, a été tué de pas moins de 4 balles provenant de directions différentes. On ne lui a laissé aucune chance.


...


Petit coup de théâtre : l'enquête vient de démontrer que les pirates ont dérobé en partant les bagages de soute de Mr Taishi.
Pas que les siens, pour être exact. Tous ceux de sa rangée de cabines (dont une vaste collection de chapeaux de marque appartenant à Mme McDuncan, ce qui rend d'un coup ses plaintes moins incompréhensibles).
Bagage particulier : Mr Taishi voyageait avec une malle de dimensions modestes, mais particulièrement lourde (c'est du moins ce qu'indiquait le registre de soute).
Contenu : un métal ? De l'or ? Des pièces de machine ? Des armes ? 
De la pierre, peut-être ? Une pièce archéologique ? 
Le trafic d'antiquités peut rapporter gros.


Affaire à suivre.

(brouillon d'une lettre pas encore envoyée, par Mme Hortense McDuncan)

Fin janvier 1880

A destination de : Laird McDuncan, manoir Skyfall, Banff, Ecosse

Mon très cher frère,

Je suis bien arrivée à Pékin, et ça n'a pas été sans mal. Le voyage a été éprouvant, et la White Star Line a une fois de plus démontré son incompétence et n'ayant réservé aucun moyen de transport entre le port et a ville. Pékin est en effet située à une bonne quarantaine de kilomètres de la mer.

Les français, comme à leur habitude, ont bien cherché à attirer l'attention en envoyant une automobile de leur ambassade. Ils venaient chercher un de leurs nouveaux employés, une sorte de grand escogriffe un peu efféminé. Très français aussi, en somme.

Quoi qu'il en soit, il va falloir supporter tous ces gens. Tous les européens de Pékin sont regroupés dans le même quartier, le quartier des légations. Il s'agit de quelques arpents de terre coincés entre des murailles, accolés à la Cité Interdite.

Cette cité est la demeure de l'impératrice de Chine, Tseu-Hi. Une femme admirable, comme il devrait en exister davantage ! J'adorerai la rencontrer, mais malheureusement c'est totalement impossible.

Dans tous les cas, régner sur un tel pays ne doit pas être une tâche facile. Les chinois sont des gens paresseux, vivant dans des conditions d'insalubrité effrayantes ! Dès que l'on sort du quartier des légations, c'est un véritable festival. Il n'y a ni hygiène, ni ordre dans les rues. Et si tu ajoutes à cela le bruit et l'odeur...

Ceci dit, les européens ne sont pas mieux. Ils font travailler sans vergogne de la main d’œuvre autochtone convertie, notamment au monastère du Pé-Tang, vaste chantier situé à 3 ou 4 kilomètres du quartier des légations.
C'est aussi le cas à l'hôtel. Dès que je demande quelque chose, on traine, on tergiverse, et personne ne fait rien... J'ai vraiment l'impression d'être la seule à travailler, ici.

A noter : j'ai un peu discuté avec la tenancière de l'armurerie Nobel. Il parait que les entreprises Nobel recrutent du monde. Voilà une entreprise sérieuse, tu devrais en parler à mon neveu. Il serait plus que temps qu'il trouve un vrai un travail, et aussi qu'il se marie, plutôt que de continuer à courir les salons avec ce ''monsieur'' de Champignac qui a une mauvaise influence sur lui.

Je m'étais enfin accordée un moment de repos en me promenant dans les jardins des quartiers, du côté de l'ambassade de la compagnie des Indes, mieux vaut ne pas s'aventurer n'importe-où ces temps ci, lorsqu'arrive d'un pas nonchalant le couple "le plus au fait" de tout ce qu'il se tram ici. Je lève les yeux au ciel. Ont-ils seulement conscience de la gravité de la situation ?

Madame Chantrain, un grand sourire sur le visage : Oh mais c'est Elizabeth, la sœur de notre cher détective !

Je tique à l'entente de mon prénom. J'aurai préféré mademoiselle Smith... Mais soit. Je leur sourit faiblement en retour.

Madame Chantrain : Oh Elizabeth, ce qu'il se passe ici, ce n'est pas croyable ! Vous devez être drôlement fière !

Elizabeth : Si vous parlez de mon idée d'utiliser leur système de communication, oui j'en suis plutôt f...

Madame Chantrain : Non, je parle de votre frère ! Sans lui, qui sait ce qu'il serait advenu de nous, ah quelle fierté d'avoir un frère aussi intelligent, aussi brave et aussi séduis...

C'est lorsque monsieur Chantrain donne un coup de coude à sa femme que je me rends compte qu'il n'a pas bougé depuis le début de la conversation.

Madame Chantrain : Enfin, je veux dire impressionnant, très impressionnant ! Je n'irai pas lui chercher des noises, ça je peux vous l'assurer.

Un petit regard en coin de son époux, léger, qui montrerait presque une certaine habitude...ou non, lassitude, plutôt.

Elizabeth, soupire : Eh bien, oui, je suis évidemment fière de lui même s'il n'a pas été le seul à participer à ces actions, mes chers camarades et moi même avons tous tenté d'apporter notre aider d'une quelconque façon. D'ailleurs, bien que je sois fière de mon idée de faire passer un message aux boxers par dessus le mur pour les attirer, cette idée seule n'aurait pas suffit. Monsieur Beaujean et mon camarade russe ont ég...

Madame Chantrain : Oh, vous parlez de monsieur Syvatoslavovich ! 

Je hausse un sourcil. Pour qui se prend-t-elle pour m'interrompre ainsi ?

Elizabeth : Oui, je connais son nom... Je disais donc que mes camarades ont proposé de faire du bruit la nuit avec la voiture et tout ce qui pouvait faire croire à de l'agitation bien réelle, pour rendre notre plan plus crédible. Heureusement pour nous, les Boxers ont mordu à l'hameçon, et une chinoise dont j'ai récemment fait la connaissance, Suzi, qui au passage est drôlement bien musclée pour une femme, nous a promis de nous aider dans notre aventure. Et je peux vous dire qu'il y avait une telle brume, que sans elle, ni moi, ni ce cher...

Madame Chantrain : Monsieur Syvatoslavovich ?

Cette fois je tique et fronce les sourcils.

Elizabeth  : Non, mon camarade espagnol, Josepe Cerro ! Cessez s'il vous plait de m'interrompre.

Madame Chantrain, chuchotant à son mari : Ce George était ma foi plus agréable...

Elizabeth : Et je vous prierai de l'appeler l'agent Smith ! Bon où en étais-je....

Madame Chantrain fait mine de remettre son écharpe en place, j'ai dû blesser son égo, quelle femme sensible !

Monsieur Chantrain : Votre sortie avec monsieur Cerro peut-être ?

Surprise de son intervention, je retrouve pourtant le fil de mes pensées.

Elizabeth : Merci monsieur Chantrain. D'ailleurs l'agent Smith était évidemment avec nous ainsi que quelques soldats pour nous couvrir si besoin. Nous avions des armes avec nous mais la mission semblait tout de même risquée. Pourtant... Quand j'étais en train de courir sur les toits telle une ombre dans le noir, avec mon arc dans le dos...

J'esquisse un sourire.

Elizabeth : Je ne me suis jamais sentie aussi vivante ! 

Monsieur Chantrain : Vous n'aviez pas peur ?

Elizabeth : Je connaissais les risques mais j'étais enfin en train de vivre l'aventure dont j'avais rêvé et honnêtement, je ne me suis jamais sentie plus à ma place. Nous sommes donc arrivés sur le toit que Suzy nous avait indiqué et nous sommes passé par la fenêtre pour nous introduire dans le grenier. 

Monsieur Chantrain, l'air très concerné : Qu'y avez-vous trouvé ?

Elizabeth : Eh bien, sans étonnement, car cela allait de soi, nous avons trouvé des papiers qui indiquaient l'implication de l'impératrice chinoise dans les actions des Boxers. Mais le plus important, c'est que nous avions les papiers, des informations officielles dans nos mains ! Nous avons également trouvé des armes de contrebande et en avons traficoté une bonne partie mais...

Monsieur Chantrain : Mais ?

Je décroche mon regard du leur. Je ferai mieux de tenir ma langue pour ce qui est du carnage que nous avons causé...Ce n'est pas la peine que ça fasse la une des journaux et avec un couple aussi intéressé par les potins, tout le monde finirait par nous montrer du doigt. Nous n'avons pourtant fait que notre devoir.... Même si ce n'était pas chose facile à faire. C'est quand même quelque chose de lourd à porter, d'avoir ainsi du sang sur les mains... Je souhaite ne jamais m'y habituer. 
Je devais avoir l'air perdue dans mes pensées car je sens une main se poser sur mon épaule.

Monsieur Chantrain : Vous êtes sûre que vous allez bien mademoiselle Smith ?

Je relève la tête, esquissant un triste sourire.

Elizabeth : Oui, je... Excusez moi, je crois que je ferai mieux de rentrer, je me sens fatiguée après tous ces évènements....

Madame Chantrain, me lance un regard suspicieux mais redevient tout sourire en un claquement de doigt : Oh, mais biensûr vous devez être épuisée ma pauvre, nous allons vous laisser ! Vous avez bien mérité votre repos après tant d'efforts !

Je leur souris et prends congé. Je crains que tout cela ne fasse que commencer....

[Journal d'Elizabeth]


Note à moi-même : 

Je ne pense pas que c'était nécessaire de parler de notre seconde mésaventure au couple Chantrain. Je veux dire... Qui croirait à ces absurdités ? Non, évidemment tout le monde ici semble persuadé que les fantômes et les sorciers existent ! Pourquoi croire ce genre de choses ? Je veux dire, je ne l'aurais jamais cru si je n'en avais pas eu la preuve sous mes yeux ! 

C'était plutôt terrifiant je dois l'admettre. Voire Joseppe taper dans la brume et les soldats totalement impuissants face à cet individu aux yeux dorés.... Même du haut des toits je ne pouvais l'atteindre : il ne faisait que balayer mes flèches du revers de la main ! 

Je ne comprends pas comment cela est possible. Il y a forcément une explication scientifique à cela, la magie ne peut juste pas exister en un claquement de doigt enfin !

Dans tous les cas, il nous a échappé, même si Joseppe a réussi à le blesser... J'ai d'abord pris sa décision pour de le débilité mais il se trouve qu'il s'est montré plutôt courageux et impressionnant. Heureuse de l'avoir comme partenaire. Et désolée qu'il me voit toujours comme la petite bourgeoise capricieuse...

En tout cas, quoi que soit ce type, ce n'est pas bon signe. Il doit y en avoir d'autres comme lui. Je crois que Suzy l'appelait le "mage". Je n'ai pas tellement envie de croiser son chemin de nouveau mais il faudrait pourtant pouvoir éclairer cette piste... Travaillent-ils pour les Boxers ? Et de ce fait, pour l'Impératrice chinoise ? Ou est-ce seulement ce qu'il veut nous faire croire pour frapper plus tard ? Il va falloir rester sur ses gardes, on n'est plus à l'abri nullepart ici et il faut l'avouer, bien que j'aime ce flot d'aventures qui coule dans mes veines, l'ambiance commence à se faire pesante...

Mais il faut garder la tête haute et comme le dirait mon cher frère, ce sont des pistes à creuser !

Carnet de voyage de Mr. Svyatoslavovitch

(toute trace d’encodage du texte a disparu, laissant place à des notes concises et précipitées)
 
 
 
     Ne peux pas dormir. Froid.
 
 
 
Nous éloignons vite et à bon rythme de Pékin et du Shogun. Mais Japonais semblent avoir débarqué sur tout le pays. Hong Kong est si proche ..."

Cher journal...je commence à en avoir ras-le-cul de la Chine !
On court vers le sud depuis plusieurs semaines maintenant pour échapper aux japs qui veulent notre peau parce qu'on est au courant pour leurs saloperies de manigance. Et tout ça pour trouver des putains d'avis de recherche avec ma tronche dessus ! Bon, Grandville est bien obligé de jouer le jeu un minimum...et son idée d'insinuer qu'on est parti vers le nord est pas mal...Mais si j'attrape le fils de chèvre qui a osé me traité de déserteur je jure que je refais le pavé jusqu'à la frontière de l'Empire avec ses dents ! Bon, il a sans doute été obligé lui aussi...mais j'avais rien signé, donc je suis pas un déserteur !

Enfin, si seulement c'était le seul problème qu'on s'était tapé depuis qu'on s'est barré de Pékin...
D'abord on s'est fait repéré par un de ses bâtards volants. Oui, volants ! On a réussi à l'abattre mais il avait survécu à sa chute le corniaud. Du coup, vu qu'on est pas des enfants de putain, on a dû le trimbaler jusqu'à la ville la plus proche pour le déposer devant un temple (je vous passe les détails de la promenade, mais j'ai fini presque aussi amoché que notre canari). On s'est assuré de faire ça dans le feutré pour éviter que la milice nous posent des questions indiscrètes. Bon, on va plutôt dire qu'on a essayé, parce que le lendemain y a le chef des boxers qui nous est tombé sur la râble avec deux de ses macaques (deux sacs de frappes qui ont clairement oublié comment on traite les femmes mais pas de manger la soupe qu'elles préparent). Le vieux débris avait visiblement un ou deux engrenages désaxés et une tête à se torcher dans de la soie, mais il en a imposé assez pour qu'on ferme bien nos mouilles en l'écoutant.

Ça fait mal au fondement de l'admettre, mais ce vieux schnock nous a bien aidé. Visiblement il veut nous voir loin, j'ai pas bien pigé pourquoi et à ce stade je m'en soucis comme de mon premier froc. Tout ce que je sais c'est que le papelard qu'il nous a filé nous a permis de manger et de dormir au sec sur presque tout le trajet. On en voyait enfin le bout !
Sauf que là, avec les japs partout et ma gueule sur toutes les façades, on l'a dans l'os ! Eli m'a bien bricolé un tenue de révérant pas dégueu (pardonnez moi Seigneur, mais malgré toute l'affection que j'vous porte je suis pas encore prêt à venir tailler le bout de gras avec mon vieux et tia Christina), mais s'ils décident de ratisser large...

Comme dirait l'ancêtre : ¡Puta madre!

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Journal personnel de Saigo Takamori (extraits)

Me voilà en Chine.
Que de chemin parcouru...
Il aura fallu six ans de préparation pour en arriver là. Six ans passés à embaucher des ingénieurs, des médecins et des officiers européens. Six ans à construire usines et manufactures. Six ans de sacrifices et de travail acharné de la part de notre population...

Mais désormais, voilà le Japon à la tête d'une armée capable de rivaliser avec n'importe quelle nation occidentale. Cette réussite est indiscutable.
Mais j'ai peur que nous n'ayons perdu le plus important en chemin.

J'ai lu énormément d'ouvrages sur le passé des européens. Sur leurs faits d'armes, leurs héros, leurs guerres... Et chaque jour, je suis un peu plus stupéfait de n'en voir presque aucune trace dans leurs actes actuels.

Où est passé leur honneur ? Où sont les preux chevaliers, les rois avisés, l'amour courtois ? Ont-ils disparus, dévorés par leurs machines à vapeur comme de vulgaires morceaux de charbon ? Enterrés par l'appât du gain et la soif de pouvoir ?

Ont-ils seulement jamais existé ? Et nous, allons-nous suivre la même voie ? A quoi bon combattre, si ce faisant nous devenons identiques à nos adversaires ?
Peut-être même suis-je un fou qui se fourvoie complètement, que le bushido n'est qu'un mirage poursuivi par des enfants, aveugles à la réalité du monde qui les entoure...

D'un autre côté, c'est justement la conscience de cette réalité qui nous a poussé à agir. La Chine, ce pays autrefois glorieux et tout-puissant, n'était plus qu'un homme malade, encerclé par des européens se préparant à la curée.
Si nous n'avions rien fait, dans moins de vingt ans les occidentaux se seraient appropriés ces territoires, les transformant à leur convenance. Et cela aurait été la fin d'une culture millénaire.

Je n'ai que mépris pour ces boxers. Leur cause était peut-être noble, mais leurs méthodes de bandits et leur fanatisme me répugnent.
Les manipuler a été tristement facile. La reine-pirate Ching Shih a parfaitement joué son rôle, en faisant mine de prendre leur parti, leur fournissant armes et motivation. Nous donnant le prétexte idéal pour passer à l'action.

Je regrette que tout cela se soit fait avec autant de fourberie. Je me revoie encore signer l'ordre d'amnistie de Ching Shih et de ses hommes, avant de le donner à Taishi-sama, avec le paiement final...
L'honneur des pirates ne vaut pas plus que quelques kilos d'or et une promesse de liberté. Nous ne devrions pas leur faire confiance.

On ne peut pas faire confiance à quelqu'un qui serait prêt à renier ses convictions, que ce soit par lâcheté, avarice ou désir.
Mais plus le temps passe et plus j'ai l'impression d'être le seul à appliquer ces principes.
Sa majesté l'Empereur me l'a encore confié récemment. Je suis le seul en qui il peut avoir confiance pour mener ce plan à bout.
Le seul prêt à faire le nécessaire pour son grand dessein, pour l'avenir du Japon et de l'Asie en général.

Mais quels sacrifices... Ce Mr Pichon, l'ambassadeur de France... Il est évident que je ne pouvais pas le laisser dévoiler notre subterfuge. Mais il était veuf et avait des enfants... Me voilà responsable de la création d'orphelins.

Qu'importe. Il s'agit uniquement d'une victime, ce qui permettra, il faut l'espérer, d'éviter une guerre de grande envergure. Le meilleur sabre est celui qui reste au fourreau.
Avec le recul, je n'aurais pas dû laisser partir ce groupe d'européens, ceux qui sont au courant de notre complot...

Mais il est inutile de ruminer le passé.
L'avenir est en marche, et il est de mon devoir de le défendre.
Jusqu'à la mort, dussé-je être le dernier des samuraïs.

 
 
[Note sur l'enveloppe : À ouvrir quand tu seras bien reposé et en sureté]
 
 
 
"Mon cher Josepe,
 
 
Par où commencer... Les derniers jours qui ont suivis ont été bien éprouvants pour tout le monde, je veux dire, qui ne le serait pas après avoir été caché dans une cave, privé de lumière et de nourriture jusqu'à ce que notre hôte ait pitié de nous... Après avoir risqué notre vie en prenant la fuite par ce passage secret et en embarquant sur la rivière qui nous mènerait l'espérait-on vers des terres plus sereines où nous pourrions enfin nous reposer...
 
Si nous pensions avoir eu notre dose, nous nous fourvoyions amplement. J'aurais dû me fier à mon instinct et ordonner à ce que l'on poursuive notre route... Mais cette dame nous offrait l'hospitalité avec tant de bienveillance...
 
 J'ignore de quoi tu te souviens exactement Josepe, mais il est temps que tu saches réellement ce qu'il s'est passé. Alors que nous soupions chez cette dame qui nous avait offert un bon repas, tu t'es pris une balle en pleine poitrine et tu.. Tu es tombé raide mort. On a tous étouffé un cri et en tournant la tête vers la fenêtre, on a compris. Les pirates nous avaient retrouvés. On a fui en emportant ton corps, tous sous le choc de rapidité de la tournure des évènements et nous sommes remontés dans la barque, en suivant la rivière, pour nous éloigner au plus vite de ces salauds qui t'avaient tiré dessus. J'aurais aimé te venger. Je leur aurais collé autant de balle qu'il faut dans leur cervelle pour qu'il n'en reste plus rien... Mais le temps pressait et je savais qu'on n’avait pas d'autre choix.
 
Le voyage a semblé si long... Tu devenais de plus en plus pâle et je... C'est difficile à l'admettre mais j'étais en train de comprendre qu’il me faudrait faire ton deuil, bien qu'il m'était difficile de réaliser que c'était bien ce cauchemar qui était réalité et non l'inverse. L'ambiance était pesante. Après tout ce que nous avions vécu tous ensemble, perdre un camarade était le choc de trop. Mais nous avons pourtant continué notre chemin et alors que Sergei parlait déjà de t'enterrer, je me souvenais de notre hôte qui avait parlé d'un "magicien blanc" qui pourrait peut-être nous aider. Une fois que cette information m'était revenue, je n'avais plus que ça en tête. On devait tenter le tout pour le tout. Car s'il y avait une chance de te ramener...  J'étais devenue folle, prise dans un étrange mélange de ressentis. Tu étais mort, Agnès l'avait déclaré, mais je voulais tant me raccrocher à cette idée...
 
Nous sommes arrivés au village, qui au passage était envahi par la peste (les odeurs de la maladie et des corps brûlés me reviennent parfois tant l'ambiance était pesante et choquante ; pauvres gens...; ) et nous avons finalement trouvé ce "magicien blanc". Moi qui m’attendais à voir débarquer Merlin, j'ai de suite regretté mon entêtement à vouloir te ramener à la vie. L'homme qui se tenait devant nous était l'homme à la cicatrice, qui avait tout l'air d'un fou qui tentait des expériences encore plus folles et interdites car trop dangereuses. J'ai senti une boule se former dans mon ventre et j'ai bien senti qu'il devait en être de même pour mes camarades. Le silence froid et malsain qui régnait dans la pièce m'appelait à faire demi-tour.
 
J'ai bien cru un instant qu'on pourrait s'en sortir indemne mais... Il a fini par convaincre les autres, jusqu'à Suzi et finalement George, mon cher frère, de vivre cette expérience avec lui ! Soit disant qu’on allait être témoins de quelque chose de jamais vu ! J'étais terrorisée. Qu'avais-je fait ? Qu'allait-il advenir de toi ? De ton corps ? Allait-il te découper en morceaux au nom de la science ? Mon cœur n'avait jamais battu aussi fort dans ma poitrine et pourtant je ne pouvais rien faire. Ce docteur malsain m'a même demandé de tenir les câbles si jamais ceux-ci lâchaient... 
 
Le fou t'avait allongé sur une sorte de table d'opération et t'avait attaché avec des lanières ! Tout ce qu'il disait n'avait aucun sens pour moi mais Sergei avait l'air à la fois curieux et fasciné par toutes ces machines. Pour moi elles n'étaient que torture. Le fou attendait que des éclairs viennent frapper pour faire fonctionner ses machines et vu le temps qu'il faisait dehors il n’a pas fallu longtemps avant que le premier éclair vienne frapper. Je crois qu'on a tous sursauté, que ce soit par réflexe ou par peur. 
 
Au bout du deuxième, il s'est passé quelque chose et l'on fixait tous le petit écran qui nous indiquerait si l'expérience avait fonctionné ou non. J'ai compris pourquoi il t'avait attaché lorsque ton corps s'est arqué brusquement et un peu plus tard, des bips sonores représentant les battements de ton cœur se sont faits entendre. J'ai lâché les câbles. Ce n'était pas possible... Tu ne pouvais pas.... Enfin tu étais mort, ton cœur ne battait plus ! Et pourtant, ces battements réguliers prouvaient que j'avais tort.
 
J’ignore ce que cela a été pour toi et j’imagine bien que tu auras malgré tout du mal à me croire mais je me sentirai toujours redevable envers ce vieux fou qui auras réussi à prouver qu’on pouvait lui faire confiance et surtout, qui t’as ramené à la vie ! Si ce n’est pas quelque chose à noter dans ton journal… « Je suis revenu d’entre les morts » !
 
Blague mise à part, je suis heureuse de t’avoir de nouveau parmi nous mon cher Josepe. Car malgré certains de désaccords, tu n’es pas seulement un simple camarade pour moi, mais un ami. Bien que tu ne le verras écrit que sur cette lettre. Je me sens très nostalgique et très étrange à écrire tout cela et je pense que c’est aussi une façon pour moi de faire le deuil de ce moment où je t’ai cru parti à jamais… Prends ça comme tu le souhaites.
 
En tout cas, te voilà maintenant au courant de ta mésaventure, que tu y croies ou non.
 
All the best,
 
Eli »

Carnet personnel n°786 du Directeur Général du Ministère de l'Industrie et du Commerce, extrait du 12 Février 1925, une semaine avant sa mort :

      "On m'a redemandé pour la centième fois il y a peu, de publier mes mémoires. Nombres collègues et amis me soutiennent qu'au vus des époques que j'ai traversées, ma vie a dut être palpitante, surprenante et surtout, riche d'enseignements pour toutes les nouvelles générations qui nous suivront. Il m'est certes arrivés de tels épisodes rocambolesques au cours de ma jeunesse, mais je n'y vois rien de plus que des anecdotes bonnes à remplir les conversations des salons de thé et des réceptions mondaines.
      Je ne crois pas avoir été une de ces figures, modèle de vertu, héro idéologique, combattant politique, ... Oh non malheureusement. Le papier jauni de mes nombreux anciens carnets m'en est témoin, il est même certains de mes souvenirs que je garde précieusement cachés du public, dont les carnets ont été brûlés il y a peu, et que leurs cendres encore fumantes ne tarderont pas à festoyer de nouvelles pages noircies de ma main. Je crains ne pas avoir été plus que ce que je suis, un homme, balloté par la vie, qui a dut faire des choix, prendre des décisions, pas toujours simples et pas toujours éclairées sur les conséquences quelles auraient ...
     Certes, je pourrais en surprendre plus d'un, au travers de ma chère patrie comme de toute l'Europe, s'ils savaient à quoi j'ai activement participé politiquement et comment mes paroles ont put condamner bon nombre de vies. Mais plus que la haine ou la rancœur de ces peuples à la lecture de mes mémoires, c'est la lecture de certains de mes aveux par six de mes confrères et consœurs européens que je redoute par dessus tout.
     Il faut que je me l'avoue, c'est surement pour eux que j'assume le moins ce que j'ai fait. Je crois être lâche et préférer qu'ils ne sachent jamais pleinement à quel point je n'ai pas tenu parole. Être lâche et mourir loin d'eux et seul plutôt que d'assumer ne jamais être aller les voir, ni même avoir pris contact avec eux. Avec les années, je ne sais plus très bien si ma jambe me fait souffrir à cause de cette vieille blessure, ou si elle me fait payer toutes ces années de mensonges, l'accablant elle de m'empêcher de traverser terres et mers pour les retrouver.
     Mais les choix sont fait. On ne peut changer le passé. Je vais tâcher de profiter des quelques années qu'il me reste pour adoucir mes vieilles plaies, auprès de ma famille et de mes petits enfants, et profiter encore un peu de chaque nouveau doux printemps que la vie voudra bien m'offrir."

(Je peux pas envoyer de fichier sur le discord de feu notre table, alors je l'envoi là. C'est commencé, reste à espérer que je trouverais le temps de le finir ^^" :
 
[désolé pour la qualité de l'image, mon téléphone date environ de l'époque des péripéties de nos personnages] )