L5A - La Forteresse Cachée

Journal trop-secret de Grande Chamane Klik, maîtresse-en-chef confirmée et reconfirmée du Clan du Crapaud-Buffle, incontestable instrument suprême de la vengeanssitude, terreur des iconographes
 
Aujourd’hui est un grand jour, oui ! A marquer d’une pierre blanche ! Et même plusieurs !
Tout un monticule de pierres blanches sur lequel Klik s’est hissée pour démontrer qu’elle est bien la plus Grande chamane.
 
Klik raconte ce qui s’est passé.
 
Klik est revenue à Kuda Mura avec les grands. Tous les sbires de Mibojin avaient filé, oui, comme les cafards quand on allume une torche. Ils ont dû entendre parler de la grande bataille et de la victoire éclatante du Crabe.
Parce qu’il y a plein de trucs qui ont éclaté, oui ! Des os, des crânes, et aussi tous les trucs spongieux que les gens ont à l’intérieur.
 
Mais Grom était toujours là… Grom se croit malin, Grom se croit grand. Grom tombera facilement dans un piège, oui. Klik le défie en duel, et là surprise : Klik désigne un champion trop fort pour se battre à sa place.
Imparable.
Du coup, Klik a choisit le grand Chuuken comme champion. Chuuken parle lui aussi aux esprits, oui. Pas les esprits de la boue comme Klik, non, plutôt les esprits des cailloux. Moins impressionnant. Moins utile. On peut pas faire des soins du visage avec des cailloux.
Mais pas mal quand même.
 
Les autres sont partis fouiller de leur côté, pendant que Klik allait droit vers Grom. Grom s’était installé dans le hall de Kuda Mura. Beaucoup de décorations. Tambours, festin, et un grand trône pour faire croire qu’il est plus grand. Pff… ridicule.
En tous cas, Grom a accepté le duel. Mais là surprise : il désigne un champion trop fort pour se battre à sa place. Lâche, traitre !
Le champion de Grom était un ogre. Un gros musclé baveux, noueux, le genre capable de fracasser quelqu’un jusqu’à ce qu’après ses os on dirait un tas de brindilles empaqueté dans un linge.
Très rigolo, mais contrariant dans le cas présent.
 
Mais là surprise : Chuuken-qui-parle-aux-esprits se met à parler aux esprits. Pendant que le gros ogre ramasse un gros marteau, Chuuken demande aux esprits de distraire le gros, qui devient tout lent, tout mou…
Tout enragé, aussi, mais ça suffit pas. Le coup de marteau qui vient était tout faible, comme s’il avait du mal à le soulever.
Et puis après, Chuuken demande aux esprits de la Terre de bien tenir le gros. Les esprits de la Terre sortent du sol et attrapent l’ogre par les bras, bien fort.
Technique classique bien rusée : des sbires tiennent la cible pendant que le chef le tabasse.
Habile.
Chuuken est plus rusé qu’il en a l’air.
 
Et puis après, pendant que l’ogre essaye de se libérer, Chuuken ramasse le marteau, le lève bien haut, et PAF : une victoire éclatante de plus !
 
(dessin grossier d’un homme brandissant un marteau, devant une autre silhouette plus imposante dont la tête est remplacée par une grosse tache rouge. L’origine du pigment rouge utilisé demeure inconnue à l’heure actuelle)
 
Maintenant, suite des opérations !
Plus qu’à traquer Mibojin et ses sbires jusqu’à sa tanière, et alors la vengeance de Klik et du Crapaud-Buffle sera telle l’azur du Ciel !

Le soir approche et la caravane va s’arrêter pour la nuit. Namir met pied à terre et amène son chameau auprès du puits. Il est l’heure de monter les tentes et d’allumer le feu pour le repas du soir. 
Dans les terres brûlées, les distractions sont rares, c’est pourquoi les nomades sont heureux de pouvoir profiter des histoires que leur raconte la petite Rokugani. Il paraît que c’est en partie comme ça qu’elle paie son voyage… Bon, les rumeurs disent aussi que le chef du convoi a cédé au charme exotique de la petite dame, mais, hé… Pour avoir passé la journée à observer la demoiselle devant lui, luttant pour ne pas tomber du chameau, Namir se dit que le chef aurait eu bien tort de ne pas la laisser se joindre au convoi. D’ailleurs Namir avait bien envie d’aller aider la jeune femme à rester en selle. 


Hier, elle leur a narré les batailles sur la Grande Muraille de l’Empire d’Émeraude, et la mort du sorcier tatoué. Ce soir, leur a-t-elle dit, elle racontera la chute de l’Araignée Montagne. Ce sont des contes bien étranges, et la morale des personnages est empreinte d’une philosophie décalée, mais il y a quand même un sens de l’honneur qui s’en dégage, et ça, ça plaît à Namir et à ses camarades. L’honneur c’est bien, c’est ce qui fait la différence entre les vrais hommes du désert et les barbares des contrées pluvieuses.
Le récit commence. C’est un peu compliqué de saisir les détails car elle parle la langue des gens de l’Est, mais Namir comprend les grandes lignes :

La Chasseuse folle avait accepté de se donner la mort. Elle a choisi de s’enfoncer sa propre lame dans le ventre, comme un guerrier. Le fils du Rocher eut sa vengeance en lui tranchant le cou.
La table magique acheva de soigner le supplicié, mais la Djinn de feu a mis les héros en garde : la survie à un prix. Le Grand Frère est revenu des morts, mais il porte désormais en lui la souillure des enfers.
L’étranger venant du nord a choisi de se battre aux côtés des héros.

Tandis que les petits êtres prenaient la forteresse d’assaut, les héros sont parvenus dans l’antre de l’Araignée-montagne. 
La petite princesse a ouvert la jarre et libéré le Djinn de feu, qui prit possession d’elle (à se moment du récit, Namir est presque sûr d'avoir vu une flamme briller dans les yeux de la narratrice, l'espace d'un instant il se demande si la description cachait un sous-entendu...)
Le combat fut épique, l’araignée à tête de vieille femme vomissant des rejetons, projetant ses toiles sur les héros, et appelant lâchement à l’aide ses trois guerriers de l’ombre


Alors que l’araignée allait mourir, le seigneur des ténèbres lui-même est arrivé pour se délecter du spectacle de la mort de son ancienne vassale. Une fois l’araignée défaite, le seigneur noir expliqua  qu’il tenait en laisse les démons, mais qu’il voulait tout de même prendre le pouvoir par la ruse… Ou quelque chose comme ça, Namir n’est pas sûr de comprendre cette partie de l’histoire, il y a peut-être une métaphore dans l'histoire. On dirait les vieilles morales de Mekhem, racontant que le Mal existe pour que le Bien ait un sens...


Quoi qu’il en soit, le seigneur des ténèbres a soumis les héros à la tentation, mais ils résistèrent, et rentrent à la tribu des crustacés . A leur retour, le Grand frère accepte la mort dans un duel d’honneur contre des insectes, afin d’épargner la vie de sa sœur et racheter l’honneur des siens.
Le fils du Rocher reprend la place de son père et épouse la sœur guerrière, le frère à deux visages part fonder une famille chez les éleveurs de chevaux, le magicien de Jade devient Magistrat de l’Empire, et la princesse part explorer le monde. 

C’était une belle histoire, Namir est content. Et la petite raconte bien, on croirait presque du vécu.  Namir va se coucher en se disant que l'histoire pourrait avoir du succès en Senpet, à condition de remplacer l’araignée par un serpent, et la jarre par une lampe à huile. 

Shinobu a écrit:

Cher Journal,

Amaterasu est déchaînée, ici. Je comprends ce qu’Asra voulait dire quand elle parlait de la colère de Grand-mère Soleil dans les terres brûlées. 
Cela fait des semaines que nous voyageons, et mes compagnons de voyage me disent qu’il existe d’autres empires au-delà des dunes. Le monde est si grand, et Rokugan si petit.

Il y a deux mois, j’ai accompagné Uso, Kame et leur progéniture en terre Licorne, puis j’ai exprimé le souhait de partir vers l’Ouest. Après quelques tergiversations, les Licornes m’ont laissé les suivre jusqu’à un coin reculé à l'extrême limite de leurs terres. Là, une caravane de marchands des terres brûlées les attendaient pour une séance de troc qui (officiellement) n’a jamais eu lieu.
"Rokugan ne commerce pas avec les Gaijins". Nasra avait raison, l’Empire d’émeraude se ment à lui-même.

Pourquoi suis-je partie ? Et bien… Je m’étais préparée à mourir, mais je n’aurai jamais pensé que Raijin referait surface. Il a endossé la responsabilité de la mort de Yosogai… me voilà toujours vivante, mais sans but à mon existence… J’ai pensé que je pourrais accepter la proposition de Daigostu, devenir une espionne de Rokugan au sein de l’Araignée, poursuivre l'œuvre de mon père de l’intérieur. Mais personne en Rokugan ne m’aurait fait suffisamment confiance pour ça. Contrairement à Katsu et Uso, mon nom n’est pas sorti du lot lors de la lutte contre Mibôjin.
Et puis, il y autre chose qui me trottait dans la tête. Ça a commencé avec les ruines des Nagas. Avec cette idée étrange qu’il y avait une civilisation avant les Kamis. Avant Rokugan. 
Ensuite il y a eu les monologues de Nasra, qui semblait parler des Kamis comme s’ils n'étaient que des oncles éloignés dans un arbre généalogique tentaculaire. Puis la rencontre avec le gaijin du nord. On nous as toujours dit que les Yobajin étaient des barbares, pourtant son peuple possède des chansons et des armes étonnantes. Ce petit arc puissant qu’il pouvait recharger d’un simple mouvement de levier, par exemple…  
Et pour finir, j’ai été possédée par Nasra. J’ai vu une partie de ce qu’elle pensait. Oui, le monde est grand. Et la corruption de Jigoku ne menace pas que Rokugan. Je suis curieuse. Comment le reste du monde lutte-t-il contre le Mal ? Quelles pays existent au-delà des terres brûlées? Et au-delà des mers ? 
C’est pour trouver des réponses à ces questions que je traverse aujourd’hui les dunes sur le dos de ce ridicule animal à deux bosses. 
Je verrai bien ce que le vaste monde me réserve.


PS: les hommes du désert sont étranges, mais la technique “Oups j’ai du mal à garder l’équilibre sur la grosse bébête, qui veut bien m'aider?” semble bien marcher sur celui qui voyageait derrière moi. Tous les mêmes…

La nuit est douce en cette fin d'été. La brise me caresse affectueusement le visage, menant jusqu'à mes oreilles la joyeuse cacophonie des paysans fêtant la fin des moissons et de l'épidémie dans le village en contrebas.
Les kamis de l'air sont souvent taquins avec moi, refusant de répondre à mes prières mais prêts à me jouer des tours où que j'aille (à croire qu'ils se sont passés le mot). Mais ce soir mes petits amis ont la bonté d'amener les réjouissances à moi qui ne peut aller à elles.

Ces braves gens ne seraient pas ravis de me voir, et je ne peux pas les blâmer. Qui aurait envie de boire une pinte et de partager son pain avec Kyōken ? 
Ils pensent que je suis un monstre, un tueur d'innocents assoiffé de sang, ne devant sa liberté qu'à l'impunité que son statut de magistrat d'Émeraude lui donne.
Ils ne pourraient pas avoir plus tord, mais ils le pensent...

Il faut dire que les vrais monstres ont un talent inégalé pour se fondre dans la masse et se mêler à la population. Ce à quoi il faut ajouter le rapport de force parfaitement déséquilibré m'obligeant à user des méthodes les plus basses. Alors, forcément, quand je jaillis du sol et égorge par surprise un yōkai se promenant sous sa forme humaine, personne ne se dit : "Houra ! Il a terrassé le monstre qui dévorait nos enfants depuis des décennies !". Non, tout le monde pense : "Par tous les Kamis, Kyōken a assassiné Dame Machin !". 

Ce n'est pas tous les jours facile, mais j'ai appris à me faire à cette solitude, toute relative d'ailleurs grâce aux kamis qui me tiennent compagnie. 
Et puis, il faut reconnaitre qu'il est rare qu'un magistrat d'Émeraude ai une réputation telle que les mères utilisent son nom pour faire peur à leurs enfants. La première fois que j'ai entendu : "Attention, si tu n'es pas sage Kyōken va venir pour toi !" j'ai eu un tel fou rire que j'ai bien cru que j'allais y passer (ce pauvre gosse et sa mère ont eu la frayeur de leur vie en se rendant compte de ma présence...).

Je ne peux malgré tout pas leur en vouloir, leur ignorance est la preuve de mon efficacité. Ce soir, ils louent les kamis pour le rétablissement de leurs enfants et pleurent la disparition du prêtre de leur temple, sans imaginer que ces deux évènements sont liés. Une autre victime du Chien Fou...
Mais ce soir des rires aigus résonnent dans ce vallon et cela vaut toute la haine du monde.

- Chuuken-sama ?

Absorbé par mes pensées, j'ai pas entendu approcher l'homme qui se trouve derrière moi.
Mon regard ne doit pas être des plus aimables car je n'ai pas le temps d'ouvrir la bouche qu'il s'incline paniqué.

- Je...je...je veux dire Hikuiken-sama ! Je...je ne voulais pas vous offenser... ni vous déranger !

- Dérangé ? Oui effectivement je le suis, mais offenser sûrement pas. Si les gens qui m'appellent ainsi sont rares aujourd'hui, cela reste quand-même mon prénom gamin. Qui t'envoie ?

- C'est mon on... Ishiro-sama mon seigneur. Une missive en provenance des terres Licorne est arrivée à Kudamura et votre présence est requise immédiatement...si vous le voulez bien...

Kudamura... Alors que je regarde ce gamin de la Licorne (la "missive" sans aucun doute) se tortiller sous mon regard (il faut dire que les veines noircies parcourant mon visage couturé de cicatrices incitent peut à l'apaisement) me reviennent en tête les souvenirs d'une autre vie avec laquelle je m'apprête visiblement à renouer. Il est peut-être temps d'en finir avec la solitude. 

- C'est vrai que ça pourrait coller niveau âge...
- Vous disiez mon seigneur ?

Je ramasse mon baluchon et me mets en marche.

- Bon, tu viens gamin ou tu attends un mot de cette grande gueule de Uso ?  
- Je vous interdis de parler ainsi de mon père !
- Là tu ressembles plus à ta mère haha !
- Mais...comment vous savez qui sont mes parents ?
- Oh ça c'est une longue histoire gamin, mais t'inquiète, tonton Chuuken va tout de te raconter sur la route...